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148 000 € pour une perte de valeur de la propriété en raison de la construction voisine

La Cour a rejeté la demande de démolition faute de preuve suffisante de non-conformité aux règles d'urbanisme, mais a reconnu l'existence de troubles anormaux de voisinage. Elle a condamné l'EHPAD voisin à verser 50 000 € pour les troubles de voisinage et 148 000 € pour la dépréciation du fonds, soit des montants révisés par rapport au jugement de première instance.

 

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LES DONNEES DU LITIGE

Monsieur I X est nu propriétaire d’un immeuble à usage d’habitation situé sur la commune de MEYSSAC (Corrèze), immeuble dont ses parents, M. K L X et Madame E X née H ont l’usufruit.

Au début des années 2000, il a été procédé à des travaux d’extension de la maison de retraite intercommunale publique, aujourd’hui dénommée EHPAD DE MEYSSAC, située sur un terrain jouxtant le fonds des consorts X.

Une enquête publique avait été au préalable organisée, à l’issue de laquelle le commissaire enquêteur avait conclu favorablement à la réalisation du projet en relevant que les observations des consorts X n’étaient pas de nature à remettre en cause ce dernier.

Les travaux ont été effectués sur la base d’un permis de construire du 16 novembre 2000 puis d’un permis de modificatif du 19 janvier 2001.

Le panneau implanté sur le chantier mentionnait une hauteur de 10,50 m à compter du niveau du sol naturel.

Les consorts X dont les demandes de suspension des travaux et d’annulation du permis de construire avaient été rejetées par la juridiction administrative ont par acte du 8 octobre 2003, au vu d’un constat d’huissier du 15 janvier 2001 attestant de la hauteur excessive de l’édifice et de divers troubles du voisinage, fait assigner l’EHPAD DE MEYSSAC devant le tribunal de grande instance de Z aux fins suivantes :

— obtenir la démolition des bâtiments ainsi que des dommages-intérêts pour dépréciation de la valeur de leur fonds et trouble du voisinage ;

— à titre subsidiaire, si la démolition n’était pas ordonnée, d’obtenir en sus des dommages-intérêts au titre des nuisances sonores, émissions de fumées, perte de vue et d’ensoleillement, une indemnité majorée au titre de la dépréciation de leur fonds.

Postérieurement à cette assignation, l’EHPAD DE MEYSSAC a déposé le 30 octobre 2003 une demande de permis de construire modificatif en vue de divers aménagements et de « la prise en compte de la hauteur maximale de 15,25 m ».

Ce permis a été accordé le 28 janvier 2004 et un certificat de conformité a été délivré à l’EHPAD le 8 mars 2004.

Le tribunal de grande instance de Z a par jugement du 11 février 2005 sursis à statuer en invitant les parties à saisir le tribunal administratif de LIMOGES de la question de la régularité de ce permis modificatif et du certificat de conformité.

Saisi par les consorts X, le tribunal administratif a par jugement du 24 mai 2007, définitif, constaté l’illégalité du permis de construire modificatif du 28 janvier 2004 et du certificat de conformité du 8 mars 2004 après avoir relevé que la demande avait été déposée le 3 novembre 2003 alors que les travaux avaient été achevés le 2 novembre 2003.

Les consorts X ont repris la procédure qu’ils avaient engagée devant le tribunal de grande instance de Z qui, par jugement du 30 mars 2012 :

— a rejeté la demande de démolition au motif qu’elle était irrecevable au regard des dispositions de l’article L 480-13 du code de l’urbanisme qui, dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 2006, dispose que, lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ;

— a toutefois déclarée fondée la demande pour troubles anormaux du voisinage ;

— a condamné l’EHPAD DE MEYSSAC à payer aux consorts X les sommes suivantes :

. 40 000 € en réparation du préjudice subi du fait des troubles anormaux du voisinage ;

—  200 000 € au titre de la dépréciation subie par leur fonds ;

—  1 500 € au titre des frais de plantations exposés pour empêcher la vue ;

Le tribunal a débouté les consorts X du surplus de leurs demandes et condamné l’EHPAD DE MEYSSAC aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 6 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’EHPAD de MEYSSAC a relevé appel de ce jugement dans des conditions dont la régularité n’a pas été contestée.

Dans ses dernières conclusions, il fait valoir les moyens suivants :

— la demande de démolition est irrecevable, comme l’a admis le tribunal, en ce qu’elle est basée sur la méconnaissance des règles de l’urbanisme alors que le permis de construire n’a pas été annulé pour excès de pouvoir ;

— en toute hypothèse, elle est non fondée, les travaux ayant été réalisés, en définitive, en conformité avec le permis initial qui prévoyait une hauteur de 10,50 mètres devant s’apprécier au niveau de l’égout de toit (bas de pente) et non au niveau du faitage ;

— L’allégation de troubles anormaux du voisinage relatifs au fonctionnement de la VMC, à la présence d’un groupe électrogène et à l’émanation d’odeurs n’est pas justifiée au regard des énonciations du constat du 15 janvier 2003 produit par les consorts X dont l’huissier n’a fait que reprendre les doléances ;

— les intimés ne démontrent pas non plus le caractère anormal du trouble qu’ils invoquent au titre de la perte d’ensoleillement et de la vue dont ils prétendent avoir disposé antérieurement ;

— Ils ne font pas état d’une servitude de vue et les distances prévues par l’article 678 en ce qui concerne les ouvertures ont été respectées ;

— en toute hypothèse ces troubles ne justifieraient pas la démolition qui est une mesure disproportionnée ;

— la perte de valeur doit être relativisée dans la mesure où l’implantation de la maison de retraite est aujourd’hui acceptée par tous les habitants de la commune et où l’immeuble des consorts X qui n’est pas édifié avec des matériaux anciens ne répond pas aux caractéristiques recherchées par les acquéreurs sur le site de MEYSSAC.

L’EHPAD DE MEYSSAC demande en conséquence à la cour :

— de débouter les consorts X de l’intégralité de leurs demandes ;

— si elle estime qu’il existe une dépréciation, de désigner un expert avec mission de fournir les éléments d’appréciation de cette moins-value ;

— de condamner les consorts X à lui payer une indemnité de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

*

Les consorts X qui forment un appel incident demandent à la cour dans leurs dernières conclusions :

— de réformer le jugement en ce qu’il a dit la demande de démolition irrecevable au regard de la nouvelle rédaction de l’article L 480-13 du code de l’urbanisme qui ne leur est pas opposable ;

— de constater la surélévation du bâtiment à une hauteur de 15,25 mètres au regard des constatations de l’huissier, de l’avis de M. B, expert auprès des tribunaux, et, principalement, du permis de construire modificatif du 28 janvier 2004 qui a été déclaré illicite par la juridiction administrative ;

— d’ordonner sous astreinte la démolition de l’immeuble ou sa mise en conformité par rapport à la hauteur de 10,50 mètres prévue par le permis de construire initial (en date du 16 novembre 2000) ;

— de condamner l’EHPAD DE MEYSSAC, en cas de démolition partielle, à leur payer en raison des troubles anormaux du voisinage la somme de 170 000 € au titre de la dépréciation de leur immeuble ;

— en toute hypothèse, de condamner la maison de retraite à leur payer des dommages-intérêts de 50 000 € en réparation du préjudice subi du fait des nuisances sonores, de l’émission de gaz et de fumées, de la perte de vue et d’ensoleillement ;

— de condamner l’EHPAD au paiement de la somme de 1 500 € au titre des frais de plantation et celle de 6 000 € au titre de l’entretien de ces dernières ;

— à titre subsidiaire, si la cour n’ordonnait pas la démolition de l’ouvrage ou sa mise en conformité, de porter l’indemnité de dépréciation allouée par le premier juge à la somme de 237 000 € au regard des avis d’agents immobiliers attestant de ce que la proximité des bâtiments de la maison de retraite diminue de 50 à 60 % la valeur du bien par rapport à l’état antérieur ;

— encore plus subsidiairement, d’ordonner aux frais avancés de l’EHPAD DE MEYSSAC une mesure d’expertise afin de déterminer leur préjudice ;

— de condamner l’EHPAD à leur rembourser le coût de l’intervention de M. A et de M. B, soit les sommes de 800,60 et 421,88 €, outre le coût du procès-verbal établi le 15 janvier 2003 par Maître RABECHAULT-BARRIERE ;

— de le condamner au paiement d’une indemnité de 3 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LES MOTIFS DE LA DECISION

Les consorts X sont recevables à réclamer devant la juridiction de l’ordre judiciaire la condamnation de l’EHPAD DE MEYSSAC du fait de la méconnaissance de règles d’urbanisme si l’on considère que la maison de retraite a été édifiée conformément au permis modificatif du 28 janvier 2004 qui a été annulé par le jugement, définitif, rendu le 24 mai 2007 par la juridiction administrative.

En effet, ils relèvent à bon droit que seul leur est opposable l’article L 480-13 du code de l’urbanisme en sa rédaction antérieure à la loi du 16 juillet 2006, lequel exigeait que le permis de construire ait été annulé, non seulement pour excès de pouvoir, mais également à raison de la constatation de son illégalité comme l’a fait le jugement susvisé.

Il convient toutefois de démontrer que l’ouvrage a bien été réalisé conformément au permis de construire modificatif annulé et qu’il méconnait les règles d’urbanisme ; plus précisément, en l’espèce, les demandeurs doivent démontrer que cet ouvrage est d’une hauteur de 15 mètres autorisée par ce permis, supérieure à celle de 10,50 mètres autorisée par le permis initial du 16 novembre 2011 qui, lui, n’a pas été annulé.

Or on ne dispose à cet égard d’aucun moyen de preuve recueilli contradictoirement, les consorts X s’étant opposés à l’expertise que l’EHPAD avait sollicitée devant le conseiller de la mise en état.

Le constat d’huissier du 15 janvier 2003 ne repose sur aucune méthode de mesurage objective et l’expert sollicité par les intimés, M. B, a conclu dans son rapport du 6 avril 2005 dans les termes suivants qui sont ambigus :

« La seule entorse dans les pièces administratives concerne la discordance entre la hauteur de la construction figurant sur le formulaire de demande de PC : 10,50 mètres, et les plans côtés joints : 15,45 mètres.

« Ces hauteurs sont prises au faîtage : celles qui sont à prendre en compte se mesurent à l’égout du toit (bas de pente) ».

Cette indication conforte la thèse de l’EHPAD de MEYSAC selon laquelle le bâtiment est conforme dès lors que sa hauteur doit se mesurer à l’égout des toits et non au faitage, de telle sorte que le permis modificatif du 28 janvier 2005 qui a été annulé par la juridiction administrative pour d’autres motifs que la hauteur autorisée n’aurait pas d’incidence, en réalité, sur la conformité de la construction par rapport au permis de construire initial.

Le rapport de M. A, géomètre-expert, n’est pas plus éclairant sur la définition de la hauteur à prendre en considération.

Il convient en conséquence de débouter les consorts X de leur demande de démolition ou de mise en conformité fondée sur la méconnaissance des règles d’urbanisme dès lors qu’il n’est pas démontré que la hauteur du bâtiment n’est pas conforme au permis de construire initial.

*

Il demeure que les demandes des intimés doivent être examinées au regard du droit civil, sur le fondement des troubles du voisinage qui peut parfaitement être invoqué en présence de troubles causés par une construction édifiée de manière licite dès lors que ces derniers excèdent les inconvénients normaux du voisinage.

A cet égard, la démolition serait une mesure manifestement disproportionnée au regard de l’utilité que représente pour la collectivité la maison de retraite qui a été édifiée légalement après la réalisation d’une enquête publique.

Une telle mesure n’est pas envisageable, de telle sorte que l’indemnisation des divers éléments de préjudice invoqués par les intimés ne peut se faire que par l’allocation de dommages-intérêts.

L’EHPAD de MEYSSAC soutient que les consorts X ne rapportent pas la preuve de ce que les bâtiments de la maison de retraite qui a été édifiée à proximité de leur propriété soit à l’origine de troubles anormaux du voisinage.

La responsabilité de ce fait est objective et ne repose pas sur la faute, de telle sorte qu’il est indifférent que les distances prescrites par l’article 678 du code civil pour les vues aient été respectées ou que le fonds des consorts X n’ait pas bénéficié de servitudes, de vue ou de prospect, auxquelles le bâtiment aurait porté atteinte.

Les nombreuses photographies produites par les intimés permettent de comparer la situation de leur fonds avant et après les travaux de construction de la maison de retraite dont les bâtiments représentent une masse très importante par rapport à la maison d’habitation préexistante à côté de laquelle ils ont été implantés.

Il apparaît clairement que le fonds des consorts X qui bénéficiait d’une vue sur le village de MEYSSAC et la campagne environnante subit aujourd’hui la perte de la perspective et de l’ensoleillement dont il disposait antérieurement.

La piscine, située au sud-ouest, est à l’ombre en été dès le milieu de l’après-midi du fait de la présence avoisinante de murs qui ont une hauteur d’une dizaine de mètres.

Le fonds subit également une perte d’intimité dans la mesure où les nombreuses fenêtres de la maison de retraite donnent sur le jardin et la piscine.

Enfin, l’édifice de la maison de retraite qui est un important bâtiment collectif est muni d’équipements tels que des appareils de ventilation, d’aération et groupe électrogène qui sont inévitablement à l’origine de nuisances sonores et olfactives.

Ces divers troubles de par leur importance et leur impact particulièrement dégradant sur l’environnement qui faisait l’agrément de la propriété des intimés avant l’implantation de l’ouvrage excèdent à l’évidence les inconvénients anormaux du voisinage.

Ils sont à l’origine d’un préjudice de jouissance important en réparation duquel les consorts X sont en droit de réclamer, au regard du caractère définitif et inévitable des nuisances sus-décrites, des dommages-intérêts évalués à 50 000 €.

Les intimés subissent également une dépréciation de leur fonds qui est désormais privé de l’agrément qui permettait de le valoriser à une somme que les agents immobiliers qu’ils ont sollicités établissent, en faisant abstraction de la présence des bâtiments de la maison de retraite, à 370 000 € en moyenne.

L’immeuble qui bénéficie de nombreux équipements de confort et d’un important volume habitable conserve toutefois une valeur qui n’est pas négligeable nonobstant la proximité de l’EHPAD.

La dépréciation de 50 à 60 % alléguée par les agents immobiliers et l’indemnité de 200 000 € retenue par le tribunal sont excessives.

Il y a lieu de ramener l’estimation du préjudice de dépréciation de la propriété des consorts X à la somme de 148 000 € qui représente 40 % de la valeur de l’immeuble abstraction faite de la présence des bâtiments de la maison de retraite.

Le jugement sera en revanche confirmé en ses dispositions relatives aux dépenses de plantations que les consorts X ont dû exposer pour préserver l’intimité de leur fonds, au rejet de la demande d’indemnisation des frais d’entretien de ces plantations et au rejet de la demande de remboursement du coût des expertises A et B, au demeurant compensés par la somme de 6 000 € allouée par le tribunal au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’y a pas lieu, l’appel de l’EHPAD DE MEYSSAC étant pour partie fondé, de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour la même raison, les parties conserveront l’une et l’autre la charge des frais qu’elles ont avancés au titre des dépens d’appel.

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PAR CES MOTIFS

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LA COUR

Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Réforme le jugement prononcé le 30 mars 2012 par le tribunal de grande instance de Z et statuant à nouveau.

Dit recevable mais insuffisamment fondée la demande de démolition formée par les consorts X sur la base d’une méconnaissance dans la construction de la maison de retraite intercommunale de MEYSSAC des règles d’urbanisme, ce nonobstant l’annulation par la juridiction administrative du permis modificatif du 28 janvier 2004.

Sur le fond, déboute les consorts X de leurs demandes de démolition et de mise en conformité.

Confirme le jugement en ce qu’il a dit que les troubles causés par la présence des bâtiments de la maison de retraite excédaient les inconvénients normaux du voisinage.

Le réformant sur le montant des indemnités, condamne l’EHPAD DE MEYSSAC à payer aux consorts X :

— au titre des troubles du voisinage, des dommages-intérêts de 50 000 € ;

— au titre de la dépréciation du fonds, des dommages-intérêts de 148 000 €.

Confirme le jugement en toutes ses dispositions non contraires au présent arrêt.

Dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en ce qui concerne les frais de la procédure d’appel.

Dit que les parties conserveront l’une et l’autre la charge des sommes qu’elles auront exposées au titre des dépens d’appel.

CA Limoges, 8 oct. 2013, n° 12/00625

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