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L'agent immobilier doit-il vérifier la solvabilité de l'acquéreur ?

L'agent immobilier doit-il vérifier la solvabilité de l'acquéreur ? Oui selon cet arrêt.

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« Le 4 octobre 2014, M. D Y a confié un mandat de vendre sa maison et son terrain situés 700 rue Deregnaucourt à Auchy-lez-Orchies à la SASU Mouveservices au prix de 1'250'000 euros.

Le 3 janvier 2015, M. E X a confié un mandat de vendre sa maison dénommée 'La ferme du Blocus’ et son terrain, situés à Mons-en-Pévèle à la société Mouveservices au prix de 1 750 000 euros.

Par acte sous seing privé du 5 janvier 2015, M. X a conclu avec M. F Z une promesse de vente sous conditions suspensives portant sur sa maison d’habitation avec son terrain, au prix de 1 750 000 euros.

Dans cet acte, il a été stipulé que le prix serait payable par un versement de 175 000 euros virés chez le notaire 10 jours après la fin du délai SRU et le complément provenant des deniers de l’acquéreur, sans recours à un prêt, ainsi qu’une réitération authentique au plus tard le 26 mars 2015.

Cet acte a été négocié avec le concours de la société Mouveservices.

Par acte sous seing privé séparé mais également daté du 5 janvier 2015, M. Y a aussi conclu avec M. Z une promesse de vente sous conditions suspensives portant sur sa maison d’habitation avec son terrain, au prix de 1 250 000 euros.

Dans cet acte, il a été stipulé que le prix serait payable sur les deniers personnels de l’acquéreur, sans recours à un prêt, ainsi qu’une réitération authentique au plus tard le 28 mars 2015.

Cet acte a également été négocié avec le concours de la société Mouveservices.

Finalement, les ventes n’ont pas été réitérées et la société Mouveservices a rédigé deux projets d’acte de résolution amiable et sans indemnité des promesses de vente, ce que M. Z a accepté tandis que ni M. Y ni M. X ne les ont signés.

Par acte d’huissier de justice du 7 janvier 2016, MM X et Y ont fait assigner la société Mouveservices et la société Groupama devant le tribunal de grande instance de Lille afin d’engager la responsabilité contractuelle de la première et d’obtenir une indemnisation in solidum avec son assureur.

Par jugement du 14 janvier 2019, le tribunal de grande instance de Lille a':

''dit que la société Mouveservices a engagé sa responsabilité contractuelle de mandataire envers M. Y et M. X,

''condamné la société Mouveservices et la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles du Nord-Est in solidum à payer à M. Y':

— la somme de 1 500 euros de dommages et intérêts,

— la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

''condamné la société Mouveservices et la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles du Nord-Est in solidum à payer à M.'X':

— la somme de 1 500 euros de dommages et intérêts,

— la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

''condamné, dans leur rapport entre eux, la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles du Nord-Est à garantir la société Mouveservices de toutes les condamnations prononcées contre elle, en principal, intérêts, frais et dépens,

''dit n’y avoir lieu à aucune autre condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

''condamné la société Mouveservices et la Caisse Régionale d’Assurances Mutuelles Agricoles du Nord-Est in solidum à supporter les dépens de l’instance,

''dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire du jugement.

M. Y a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 2 janvier 2020, il demande à la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1991, 1992 et suivants du code civil, d’infirmer la décision déférée sauf en ce qu’elle a retenu la responsabilité de la société Mouveservices et de son assureur Groupama et, statuant à nouveau, de':

''condamner in solidum les sociétés Mouveservices et Groupama à verser à M. Y la somme de 125'000 euros à titre de dommages et intérêts,

''les condamner à lui verser la somme de 5'000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et 5'000 euros sur le même fondement en cause d’appel,

''les condamner in solidum aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 13 août 2019, la société Mouveservices demande à la cour de':

à titre principal

''rejeter l’appel principal de M. Y,

''faire droit à l’appel incident de la société Mouveservices,

en conséquence

''infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions,

''débouter M. Y de l’intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire

''rejeter l’appel principal de M. Y,

''confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,

en toute hypothèse

''condamner M. Y à payer à la société Mouveservices, en cause d’appel, la somme de 3'000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

''le condamner aux entiers frais et dépens de l’instance.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 18 septembre 2020, elle demande à la cour de':

''juger recevable et fondé l’appel incident diligenté par la Crama du Nord’Est,

''réformer partiellement la décision déférée,

''juger que la société Mouveservices n’a commis aucune faute et n’a donc pas engagé sa responsabilité contractuelle,

''en toute hypothèse, juger qu’aucun préjudice ni aucun lien de causalité entre un prétendu préjudice et une prétendue faute n’est établi,

''par voie de conséquence, débouter purement et simplement M. Y de toutes ses demandes,

''condamner M. Y au paiement d’une somme de 5'000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

''le condamner en tous les frais et dépens.

Pour l’exposé des moyens des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures

conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la demande principale

Aux termes des dispositions de l’article 1991 du code civil, le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.

L’article 1992 du même code dispose que le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion.

Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire.

L’agent immobilier doit s’assurer de la bonne exécution de sa mission en faisant preuve de diligence et il est tenu d’obligations d’information, de conseil et de mise en garde portant notamment sur le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qu’il a présenté à son mandant. En outre, il doit, dans le cadre de son obligation de moyen, faire toute diligence pour s’assurer de la solvabilité des acquéreurs et de leur capacité de financement.

En l’espèce, suivant mandat en date du 4 octobre 2014, M. Y a confié la vente de sa maison et du terrain sis à Auchy les Orchies à la SASU Mouveservices, la rémunération du mandataire étant fixée à 50 000 euros.

Alors qu’il appartient à la SASU Mouveservices de justifier des diligences accomplies en vue d’assurer l’efficacité de la vente et notamment de la solvabilité de M. A, acquéreur de l’immeuble appartenant à M. Y, la seule affirmation selon laquelle ce dernier, déclarant résider en Belgique et disposer de plus de 25 millions d’euros à la suite de la vente d’une société ne saurait suffire à caractériser l’existence de vérifications alors même que M. Z avait régularisé six autres compromis de vente portant sur des biens situés en Pévèle par son intermédiaire et ce, sans concours bancaire.

C’est à juste titre que le premier juge a relevé que le caractère particulièrement singulier de cette situation justifiait, en raison de l’importance des enjeux financiers, une vigilance particulière de l’agent immobilier qui ne conteste pas n’avoir sollicité aucun justificatif auprès de M. Z avant la signature du compromis ni conseillé aux vendeurs de prendre des garanties.

Si l’agence immobilière a adressé à l’ensemble des vendeurs dont M. Y par un courriel daté du 21 janvier 2015 aux termes duquel elle l’a mis en garde sur le risque d’insolvabilité de M. Z et qu’elle a sollicité à plusieurs reprises auprès de ce dernier la communication de justificatifs de paiement, force est de constater que ces diligences n’ont été accomplies que postérieurement à la régularisation du compromis par M. Y alors que son manquement à ses obligations contractuelles s’apprécie au jour de la signature de l’acte.

En outre, la qualité de néophyte de M. Y en matière de transaction immobilière ne saurait être valablement remise en cause, aucun justificatif n’étant produit aux débats par la société Mouveservices sur ce point et les sociétés Soliman, société Elevage industrie Manutention et la société Pacnord, dont M. Y est le gérant, ayant pour objet respectif la location et la location-bail de machines et équipements pour la construction ainsi que l’entreposage et stockage frigorifique.

En conséquence, la société Mouveservices, qui ne justifie pas avoir conseillé à M. Y de prendre des garanties avant la signature du compromis ni l’avoir mis en garde contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qu’elle lui avait présenté, a engagé sa responsabilité à l’égard de M. Y.

En cause d’appel, M. Y sollicite la condamnation in solidum de la société Mouveservices et de son assureur au paiement de la somme de 125 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l’immobilisation de son immeuble et de la perte de chance de percevoir le montant de la clause pénale destinée à compenser celle-ci.

Seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable; elle doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Si M. Y fait valoir que l’immobilisation de son bien pendant trois mois lui a causé un préjudice certain tenant à l’immobilisation de son bien, il n’est pas contesté que cet immeuble était en vente depuis le 4 octobre 2014, date de la signature du mandat au profit de la société Mouveservices et qu’il était toujours en vente le 14 juin 2016, date du procès-verbal de constat établi par Maître B, Huissier de justice de sorte que la preuve d’un préjudice directement lié à l’immobilisation du bien n’est pas rapportée en l’espèce.

En outre, le premier juge a justement relevé que la clause pénale étant destinée à compenser l’immobilisation de l’immeuble, le fait de se prévaloir de cette immobilisation et en même temps, de la perte de chance de se faire payer la clause pénale correspond à une double indemnisation d’un même dommage.

En l’espèce, le préjudice subi par M. Y résultant des manquements de l’agence immobilière ne peut s’analyser qu’en une perte de chance de ne pas contracter avec M. Z et non en l’indemnisation de la totalité de son préjudice financier alors même qu’aucun élément n’est produit aux débats concernant l’insolvabilité de M. Z et que M. Y ne justifie pas l’avoir mis en demeure de lui verser le montant de la clause pénale.

En outre, le 19 janvier 2015, M. Y a formulé une offre d’acquérir pour un prix de 1 150 000 euros un immeuble sis à Tournai (Belgique) sans assortir celle-ci d’aucune condition tenant à la vente de son bien de sorte que ces ventes constituent deux opérations distinctes.

Par ailleurs, il convient de relever qu’en dépit de l’information donnée le 21 janvier sur l’existence d’un risque d’insolvabilité de M. Z, M. Y a maintenu sa volonté de lui vendre son bien en indiquant par courriel daté du 21 février 2015 qu’il «'prenait acte de la volonté de M. Z de verser à Maître C dès la semaine du 23 au 27 février 2015 la somme de 1 250 000 euros'» et que de la même manière, il a réitéré son offre d’acquisition de l’immeuble situé en Belgique par courriel en date du 6 février 2015.

Ainsi, il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. Y s’est engagé dans l’achat d’un autre bien immobilier sans solliciter de garanties quant à la solvabilité de son propre acquéreur et sans prévoir de condition suspensive tenant à la réalisation de la vente de son propre bien de sorte que son préjudice sera justement indemnisé par l’allocation de la somme de 5 000 euros que l’agence immobilière Mouveservices sera condamnée à lui verser.

L’assureur de la société Mouveservices, qui ne dénie pas sa garantie, sera condamné in solidum avec la société intimée à payer cette somme à M. Y.

La décision entreprise sera donc réformée sur le quantum des dommages et intérêts alloués à M. Y.

Sur les autres demandes

La société Mouveservices et la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles du Nord Est, parties perdantes, seront condamnées in solidum à supporter les dépens d’appel.

Il n’apparaît pas inéquitable de les condamner in solidum à verser à M. Y la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Réforme le jugement entrepris sur le seul quantum des dommages et intérêts.

Statuant à nouveau sur ce point,

Condamne in solidum la société Mouverservices et la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles du Nord Est à payer à M. D Y la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus,

Condamne in solidum la société Mouveservices et la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles du nord est aux dépens d’appel ;

Condamne in solidum la société Mouveservices et la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles du Nord-Est à payer à M. D Y la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel. »

 

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