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Le mur est moche, et alors ?

La cour d'appel juge que le mur de soutènement, décrit comme inesthétique, n'est pas un trouble anormal du voisinage.

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"EXPOSE DU LITIGE

Par acte d'huissier en date du 04 septembre 2014, M. Jean-Pierre M. a fait assigner M. Jorge DE S. DA S. devant le tribunal de grande instance de Bastia pour obtenir, outre une indemnisation, la démolition sous astreinte d'un mur de soutènement en béton édifié en limite de propriété, invoquant des troubles anormaux de voisinage ainsi que l'ouverture d'une vue prohibée.

Par jugement contradictoire en date du 08 mars 2016, le tribunal de grande instance de Bastia a débouté M. M. de l'ensemble de ses demandes, l'a condamné aux dépens et a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour d'appel de Bastia, dans son arrêt en date du 05 juillet 2017, a:

- infirmé le jugement critiqué en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- condamné M. Jorge DE S. DA S. à démolir le mur en béton armé et banché édifié en limite des parcelles A 237 et D 934, sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard, à compter de l'expiration d'un délai de six mois courant à compter de la signification de la décision,

- débouté M. Jean-Pierre M. de ses autres demandes,

- débouté M. Jorge DE S. DA S. de ses demandes contraires,

- condamné M. Jorge DE S. DA S. au paiement des dépens de première instance et d'appel,

- condamné M. Jorge DE S. DA S. à payer à M. Jean-Pierre M. la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour a ordonné la démolition du mur litigieux considérant que celui-ci était à l'origine d'une vue droite irrégulière et d'un écoulement des eaux. Elle a également constaté l'existence de troubles anormaux de voisinage lesquels ont cependant été jugés impropres à justifier la démolition sollicitée, à défaut d'annulation préalable du permis de construire. Enfin, elle a débouté M. M. de sa demande indemnitaire au motif qu'il n'était pas démontré que la démolition du mur laisserait subsister un préjudice financier du fait de ces troubles de voisinage.

La Cour de cassation, par son arrêt en date du 21 février 2019, a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour d'appel de Bastia et a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Provence en retenant que:

' Vu l'article 678 du code civil,

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Jean-Pierre M. a assigné Jorge DE S. DA S. en démolition sous astreinte d'un mur de soutènement édifié en limite de propriété;

Attendu que, pour accueillir la demande, l'arrêt relève que le parement extérieur du mur litigieux est situé à treize centimètres de distance de la fenêtre, rendue quasi aveugle de la maison de Jean-Pierre M.;

Qu'en statuant ainsi , sans constater que celui-ci bénéficiait d'une servitude de vue au titre de cette ouverture pratiquée à une distance de moins de dix neuf centimètres de la propriété voisine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.'

M. Alain M. et Mme Corinne N., venant aux droits de M. Jean-Pierre M. décédé, ont saisi la cour d'appel d'Aix-en-Provence par déclaration en date du 25 avril 2019.

Suivant leurs dernières conclusions signifiées par RPVA le 07 avril 2020, M. Alain M. et Mme Corinne N. demandent à la cour de:

- dire et juger la déclaration de saisine formalisée par M. Alain M. et Mme Corinne N., héritiers de feu M. Jean-Pierre M., recevable et bien fondée,

- infirmer le jugement prononcé le 08 mars 2016 par le tribunal de grande instance de Bastia en ce qu'il a débouté feu M. M. de l'ensemble de ses demandes lesquelles tendaient à:

* condamner M. Jorge DE S. DA S. à démolir le mur en béton armé et banché édifié en limite des parcelles A 237 et D 934, sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard, à compter de l'expiration d'un délai d'un mois courant à compter de la signification de la décision,

* condamner M. Jorge DE S. DA S. à payer la somme de 10.000 € au titre du préjudice matériel et 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* constater, à titre subsidiaire, que M. Jorge DE S. DA S. a commis une imprudence caractérisée au regard des articles 1382 et 1383 du code civil et sollicite qu'il soit condamné, outre la démolition du mur sous astreinte, à payer une indemnité de 10.000 € au titre du préjudice matériel subi par M. M.,

- constater, au visa de l'article 678 du code civil, que M. Jorge DE S. DA S. a créé sur le fonds de M. M. une servitude de vue prohibée et qu'il soit en conséquence condamné à démolir le mur en béton armé et banché édifié en limite des parcelles A 237 et D 934, sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard, à compter de l'expiration d'un délai d'un mois courant à compter de la signification de la décision,

Su la cour devait être davantage éclairée sur les troubles anormaux de voisinage subis:

- ordonner avant dire droit toute mesure qu'il plaira à l'effet de vérifier l'existence de troubles anormaux de voisinage,

A titre principal,

- dire et juger que M. Alain M. et Mme Corinne N., héritiers de feu M. Jean-Pierre M. subissent des troubles anormaux de voisinage liés à l'édification du mur par M. Jorge DE S. DA S.,

- condamner M. Jorge DE S. DA S. à démolir le mur en béton armé et banché édifié en limite des parcelles A 237 et D 934, sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard, à compter de l'expiration d'un délai d'un mois courant à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner M. Jorge DE S. DA S. à payer à M. Alain M. et Mme Corinne N. la somme de 10.000 € au titre du préjudice moral subi depuis l'édification du mur,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que M. Jorge DE S. DA S. a créé sur le fonds de feu M. Jean-Pierre M. une servitude de vue prohibée,

- condamner M. Jorge DE S. DA S. à démolir le mur en béton armé et banché édifié en limite des parcelles A 237 et D 934, sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard, à compter de l'expiration d'un délai d'un mois courant à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner M. Jorge DE S. DA S. à payer à M. Alain M. et Mme Corinne N. la somme de 10.000 € au titre du préjudice moral subi depuis l'édification du mur,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger que M. Alain M. et Mme Corinne N., héritiers de feu M. Jean-Pierre M. subissent des troubles anormaux de voisinage liés à l'édification du mur par M. Jorge DE S. DA S. ou que M. Jorge DE S. DA S. a créé sur le fonds de feu M. Jean-Pierre M. une servitude de vue prohibée,

- condamner M. Jorge DE S. DA S. à payer à M. Alain M. et Mme Corinne N. la somme de 80.000 € au titre du préjudice de jouissance et financier subi,

- condamner M. Jorge DE S. DA S. à payer à M. Alain M. et Mme Corinne N. la somme de 10.000 € au titre du préjudice moral subi depuis l'édification du mur,

En tout état de cause,

- condamner M. Jorge DE S. DA S. à payer à M. Alain M. et Mme Corinne N. la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouter M. Jorge DE S. DA S. de ses demandes, fins et conclusions.

Ils concluent à titre principal à l'existence d'un trouble anormal de voisinage de part le caractère inesthétique du mur litigieux et l'obstruction de vue en résultant, la perte d'ensoleillement résultant de son édification et de l'aggravation de la servitude des eaux pluviales consécutive à la construction d'un tel ouvrage.

Ilse prévalent notamment du constat d'huissier dressé le 30 juillet 2014 qui établi que le mur querellé mesure 7,80 mètres au plus haut contre 3 mètres au plus bas, que ce dernier obstrue considérablement la vue sur l'extérieur dont ils bénéficiaient, en raison notamment de la présence d'une fenêtre côté Ouest de leur bâtisse, qui ouvre désormais directement sur ce mur, de même que leur terrasse qui auparavant donnait sur la colline.

Ils estiment que cette masse de béton les prive également d'ensoleillement, d'autant qu'il a modifié la déclivité du terrain, une grande partie de la propriété étant devenue un puit sans lumière, ni vue.

Ils font valoir que cette construction est à l'origine d'une grande pesanteur esthétique, qu'une telle masse de béton est particulièrement inadaptée en zone rurale, brisant l'unité de style du village et affectant les conditions d'habitabilité de leur propriété située en pleine campagne.

Ils ajoutent que l'accès à leur immeuble est fréquemment impraticable du fait de l'existence de nombreux trous d'évacuation des eaux pluviales et que par la réalisation de cet ouvrage, leur voisin a incontestablement aggravé la servitude d'écoulement des eaux à laquelle ils sont assujettis.

Ils font valoir que le rapport d'expertise établi par M. B. sur lequel s'appuie la partie adverse ne leur est pas opposable dès lors qu'il n'a pas été établi de manière contradictoire, qu'en tout état de cause le niveau du terrain naturel visé par ce technicien n'est pas le niveau naturel antérieur aux travaux entrepris par M. DE S. DA S., lesquels ont notamment consisté à remblayer le terrain. Ils ajoutent qu'il importe peut que la construction ait été réalisée conformément au permis de construire ou que le mur soit implanté sur la propriété voisine, l'anormalité des troubles engendrés par cet ouvrage engageant la responsabilité de M. DE S. DA S..

Ils estiment que la construction de ce mur n'est pas seulement inesthétique mais tend également à fortement déprécier la valeur de leur propriété, d'autant que l'intimé n'a jamais démontré que l'édification d'un tel ouvrage était une contrainte technique indispensable, qu'ils versent aux débats un avis de valeur d'un cabinet d'expertise immobilière relevant la présence de facteurs défavorables découlant de ce mur, la jurisprudence retenant le caractère anormal du trouble de voisinage lorsque la construction querellée entraîne une dépréciation de la valeur du bien. Ils ajoutent que la perte d'ensoleillement accentue également cette dépréciation.

A titre subsidiaire, ils invoquent la création d'une servitude de vue prohibée sur leur terrain résultant de cette construction, que remblayant sa parcelle, M. DE S. DA S. a constituée une véritable terrasse dotée de garde-corps avec une vue plongeante sur leur propriété, que le tribunal ne pouvait écarter l'application de l'article 678 du code civil au motif que la villa de feu M. M. dispose d'une fenêtre donnant sur le mur voisin, une telle fenêtre ayant été aménagée depuis plus de 30 ans, de sorte qu'ils sont fondés à se prévaloir de l'acquisition d'une servitude de vue sur le fonds voisin. En tout état de cause, ils considèrent à supposer que la vue créée par la partie adverse soit régulière, le respect des dispositions légales n'exclut pas l'existence de troubles anormaux de voisinage.

Ils sollicitent en conséquence la destruction du mur litigieux outre des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et, en l'absence de démolition de cet ouvrage, ils invoquent un préjudice économique conséquent, résultant de la dépréciation de la valeur vénale du bien.

M. Jorge DE S. DA S., suivant ses dernières conclusions déposées et notifiées le 06 avril 2020, demande à la cour de:

- confirmer le jugement entrepris,

- condamner l'appelant au paiement de la somme de 1.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

Il rappelle qu'il a acquis le 1er septembre 2009 la parcelle cadastrée D 237, qu'il a obtenu une autorisation de construire pour édifier sa maison à usage d'habitation, comprenant notamment, compte tenu de la forte pente du terrain, l'édification d'un mur de soutènement, dont il justifie qu'il est bien situé sur sa propriété.

Il conteste que ce mur de soutènement soit à l'origine d'un quelconque trouble anormal de voisinage en formulant les observations suivantes:

- sur le caractère inesthétique et inadapté du mur:

* les consorts M. se plaignent d'une modification de la déclivité de son terrain mais n'en rapportent nullement la preuve, ni davantage qu'ils ne peuvent plus accéder comme avant à leur propriété,

* le rapport d'expertise établi le 15 septembre 2015 par M. B., expert près de la court d'appel de Bastia, démontre que le mur querellé est non seulement conforme aux règles de l'art mais surtout parfaitement adapté aux lieux,

* il ressort du constat d'huissier adverse que l'espace entre le mur édifié sur son propre terrain et la maison M. est identique, sauf à considérer que M. M. empiétait sur la parcelle voisine,

* le prétendu caractère inesthétique, au demeurant aucunement établi, relève de la pure subjectivité et ne peut fonder le trouble allégué, en l'absence de tout dommage en résultant,

- sur l'existence de trous d'évacuation d'eaux pluviales rendant impraticable l'accès à la maison M. et sur la création d'une servitude d'écoulement des eaux:

* les trous d'évacuation implantés sur le mur sont une obligation imposée par les DTU,

* ces barbacanes ne créent pas une servitude d'écoulement des eaux sur leur fonds, une telle analyse étant juridiquement erronée, puisque leur fond étant situé en-dessous, il supporte nécessairement une servitude d'écoulement des eaux,

* ils n'établissement aucunement une quelconque aggravation de cette servitude naturelle, étant précisé que dans une telle hypothèse, les consorts M. ne peuvent prétendre qu'à une indemnisation et en aucun cas à la démolition du mur.

- il n'existe aucune demonstration d'une quelconque privation d'ensoleillement,

Ils rappellent que la cour d'appel de Bastia a retenu que les troubles anormaux de voisinage dont elle avait constaté l'existence ne permettaient pas d'ordonner la démolition en l'absence d'annulation préalable du permis de construire, que l'espèce une telle demande ne peut prospérer, les consorts M. n'ayant jamais précisé la nature des règles dont la méconnaissance a pu générer de telles nuisances et qu'au surplus, une telle demande est non seulement totalement disproportionnée par rapport aux troubles allégués mais présente sur un plan technique, des risques très importants.

Il s'opposent également à la demande de dommages et intérêts présentée par la partie adverse en aux motifs que non seulement la dépréciation alléguée du bien M. n'est nullement établie et qu'au surplus la somme réclamée ( 80.000 € ) est disproportionnée.

Quant à la prétendue violation des règles de vue, ils soutiennent que:

- les consorts M. ne démontrent aucunement qu'ils bénéficiaient, en raison de la fenêtre ouverte illégalement, d'une servitude de vue sur le fonds voisin, à laquelle le mur en cause aurait atteinte, préalable pourtant nécessaire comme l'a rappelé la Cour de cassation,

- la seule vue existante depuis sa propriété est une vue oblique, laquelle se situe à une distance mesurée part le géomètre-expert de 3,61 mètres de la limite du fond M.,

- au regard du constat d'huissier établi par la partie adverse, le vue depuis le fonds S. se situe en réalité à une distance de 4,69 mètres de l'ouverture de la bâtisse adverse, de sorte qu'aucune violation des règles de vue droites ou obliques n'est établie.

La procédure a été clôturée le 11 mai 2020.

En application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, les parties ont été régulièrement avisées du déroulement de la procédure sans audience.

A défaut d'opposition dans le délai de quinze jours, les parties ayant déposé leurs dossiers de plaidoirie, l'affaire a été mise en délibéré.

MOTIFS

Les consorts M. soutiennent, à titre principal, que le mur litigieux est constitutif d'un trouble anormal de voisinage en raison de son caractère inesthétique, de l'obstruction de vue et de la perte d'ensoleillement en résultant et de l'aggravation de la servitude d'écoulement des eaux pluviales consécutive à sa réalisation, d'autant que leur voisin a modifié la déclivité du terrain. Ils ajoutent que cet ouvrage génère une moins-value conséquente de leur propriété.

Il est constant que M. DE S. DA S. a obtenu une autorisation de construire pour y édéfier sa maison à usage d'habitation délivrée par M. le maire de POGGIO MEZZANA, le projet comprenant notamment l'édification d'un mur de soutènement, lequel, ainsi qu'il en résulte du plan d'état des lieux du géomètre-expert, M. Pierre R., se situe bien sur la propriété de M. DE S. DA S..

Le droit d'un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibée par la loi ou les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne pas causer à la propriété d'autrui aucun dommage excédant les inconvénients anormaux de voisinage.

Il s'agit d'une cause de responsabilité objective, à savoir qu'elle suppose uniquement que soit rapportée la preuve d'un trouble dépassant les inconvénients normaux ou ordinaires du voisinage.

Si le respect des dispositions légale n'exclut pas l'existence d'éventuelle troubles excédant les inconvénients anormaux de voisinage, il appartient aux consorts M. de justifier de l'anormalité du trouble allégué par son caractère excessif lié notamment à son intensité ou à sa répétitivité.

Au soutient de leurs prétentions, ces derniers produisent un constat d'huissier, des photographies et un avis de valeur immobilière en date du 28 juillet 2016.

Aux termes de son constat dressé le 30 juillet 2014, l'huissier relève que ' Je note que l'accès à la propriété du requérant se fait par l'arrière de la bâtisse coté Ouest entre le mur et celle-ci et suis d'ailleurs contraint de m'y rendre à pieds. Je remarque que le mur est composé côté Ouest de la parcelle du requérant de trois hauteurs identiques de béton banché. Je mesure alors la première hauteur qui est de 2,60 mètres et calcule donc la hauteur totale du mur côté Ouest qui est de 3X 2,60= 7,80 mètres de haut en tout. J'ajoute que ce mur dépasse aisément de plusieurs mètres le faîtage du toit du requérant (...) Par ailleurs je constate que l'ensemble des trous d'évacuation des eaux pluviales sortent de ce mur sur la parcelle du requérant (...) Je remarque que l'ensemble des trous permettant de fixer les banches n'ont pas été refermées et que de nombreuses projections sont présentes tant sur la façade ouest de la bâtisse du requérant que sur son portail d'entrée. Je mesure ensuite la largeur existant entre le mur en béton situé en limite Ouest de la propriété du requérant et sa bâtisse, largeur qui est de 1, 30 m environ au plus large. La fille du requérant me précise que l'entrée sur la propriété s'est toujours faite par là, et que l'accès à la parcelle a été considérablement réduit alors qu'il n'en existe pas d'autre. A cette occasion, je remarque la présence d'une fenêtre côté Ouest de la bâtisse du requérant ouvrant sur le mur en béton en vue directe.'

A la lecture de ces constatations, l'accès à la maison est inchangé et contrairement aux allégations des consorts M., l'espace entre le mur édifié sur la propriété de M. DE S. DA S. et la maison M. est identique sauf à considérer que M. M. empiétait sur le terrain voisin.

L'affirmation selon laquelle M. DE S. aurait modifié la déclivité du terrain n'est étayée par aucun élément, de même que la privation d'ensoleillement, l'huissier n'ayant pour sa part rien indiqué sur ce point et les photocopies de photographies ne démontrant rien à défaut d'autres éléments de comparaison et de précisions d'heure, de date et d'orientation de la maison.

Les consorts M. prétendent par ailleurs que l'existence de trous d'évacuation dans le mur, au demeurant imposés par le DTU pour éviter tout basculement de l'ouvrage, rend impraticable l'accès à leur propriété et aggrave à la servitude naturelle d'écoulement des eaux.

Il n'est pas contesté qu'en application de l'article 640 du code civil, le fonds M. est situé au pied de la colline au sommet de laquelle se trouve le fonds DE S., de sorte que le premier, de par la seule configuration des lieux, est assujetti à une servitude d'écoulement des eaux au profit du second.

L'existence d'une aggravation de cette servitude naturelle d'écoulement des eaux ne ressort d'aucune pièce, ni davantage que l'accès la propriété M. serait impraticable en cas de pluie. L'huissier de justice a uniquement constaté des projections de béton présentes sur la façade Ouest de la bâtisse et le portail d'entrée M., les photocopies couleurs qui sont jointes à son procès-verbal mettent en évidence que ces projections sont de tailles très réduites, ce qui ne permet absolument pas de caractériser un trouble excessif, excédant les limites que chacun doit supporter.

Le caractère inesthétique du mur ne peut à lui seul justifier l'existence d'un tel trouble et relève d'ailleurs de la pure subjectivité. L'avis de valeur établi par le cabinet d'expertise immobilière POZZO DI BORGO ne permet nullement de conclure à une moins-value de la maison M. compte tenu de la présence du mur litigieux. En effet, il est certes fait état de cet ouvrage qui ' peut occasionner certaines nuisances', plus particulièrement une humidification du bâti et de la paroi, ce qui n'est d'ailleurs ni allégué, ni établi, mais rien ne permet d'en déduire une quelconque conséquence sur l'évaluation finale du bien, qui prend en compte au titre des points négatifs l'état de vétusté de la bâtisse, construite en mitoyenneté, avec des nuisances de bruits ( proximité immédiate d'exploitation industrielle, d'une ligne de chemin de fer et d'une nationale à grande circulation ).

Il s'ensuit que la moins-value avancée comme conséquence de l'édification du mur n'est pas avérée et encore moins à hauteur du montant réclamé ( 80.000 €).

A titre subsidiaire, les consorts M. invoquent l'existence d'une servitude de vue prohibée sur leur terrain résultant de la construction du mur en litige.

En application de l'article 678 du code civil, on ne peut avoir de vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix-neuf centimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de la construction.

Ainsi, le propriétaire d'un immeuble ne peut y ouvrir de fenêtre donnant sur le fonds voisin à moins qu'il n'y ait une distance de 19 centimètres en le parement de la fenêtre et la limite de ce fonds.

De même, l'article 679 énonce qu'on ne peut sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage s'il n'y a six centimètres de distance.

Par la suite, si un propriétaire a méconnu cette interdiction et ouvert une fenêtre donnant sur le fonds voisin en deça de la distance légale, il ne peut s'en prévaloir pour s'opposer à la construction, par le propriétaire voisin, d'un mur en limite de sa propriété.

En l'occurrence, rien ne permet d'établir que M. DE S. DA S. bénéficie d'une vue prohibée par l'article 678 du code civil, le constat d'huissier établissant l'existence d'une fenêtre de la villa M. située à 13 centimètres du mur et donnant dessus mais non l'inverse.

Se prévalant de l'article 690 du code civil, les consorts M. soutiennent que cette fenêtre a été aménagée il y a plus de 30 ans , de sorte qu'ils peuvent se prévaloir de l'acquisition d'une servitude de vue par prescription mais ne produisent strictement aucune pièce au soutien d'une telle affirmation.

Il s'ensuit que les consorts M. ne démontrent aucunement qu'ils bénéficiaient, en raison de leur fenêtre, d'une servitude de vue sur le fonds voisin, à laquelle le mur litigieux aurait porté atteinte et l'ouverture illégale de la fenêtre au regard des dispositions de l'article 678 précité ne peut justifier que soit ordonné la démolition du mur querellé.

Au surplus, M. DE S. DA S. verse aux débats le rapport établi le 31 mai 2018 par M. Willima P., expert qu'il a mandaté et dont le contenu ne fait l'objet d'aucune discussion par la partie adverse, à la lecture duquel il apparaît qu'il n'existe aucune violation des règles de vue depuis la propriété DE S. DA S., puisqu'il apparaît que le point de vue du fonds de ce dernier se situe à 3,39 mètres en retrait de la limite des deux fonds, étant souligné que la seule vue existante sur la propriété M. est une vue oblique.

Au regard de ces éléments, c'est à juste titre que le premier juge a retenu que les consorts M. ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un trouble anormal de voisinage, ni de la création d'une vue prohibée.

S'agissant de la demande subsidiaire d'ordonner une mesure d'expertise judiciaire, celle-ci ne saurait avoir pour but de suppléer la carence des consorts M. dans l'administration de la preuve qui leur incombe et qui, au cas d'espèce, est manifeste.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Bastia en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. Alain M. et Mme Corinne N. à payer à M. Jorge DE S. DA S. la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. Alain M. et Mme Corinne N. aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile."

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