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Partage de responsabilité entre le promoteur et la commune

Cette décision du Conseil d'État du 7 mai 2007 est relative à l'action en responsabilité engagée par un promoteur contre une commune qui avait délivré des certificats d'urbanisme incomplets et un permis de construire illégal, et on notera que la responsabilité partielle du promoteur lui-même est retenue de sorte que son indemnisation est réduite :

 

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SOCIETE IMMOBILIERE DE LA BANQUE DE BILBAO ET DE VISCAYA D'ILBARRITZ a acquis le 31 août 1989, pour un prix de 67 millions de francs, les parcelles cadastrées AW et AX classées en zone NA-c du plan d'occupation des sols de la commune de Bidart ; que cette acquisition était assortie de deux conditions suspensives tenant, d'une part, à la prorogation ou au renouvellement des certificats d'urbanisme correspondant à ces terrains délivrés au précédent propriétaire et, d'autre part, au maintien de la superficie constructible, de l'ordre de 30 000 m² ; que la commune de Bidart a prorogé au bénéfice de la requérante les certificats d'urbanisme délivrés le 23 août 1989, pour la réalisation d'opérations d'hôtellerie, de para-hôtellerie ou d'habitations collectives ; que, pour la parcelle AX, divisée en trois lots, la requérante est venue aux droits du précédent propriétaire, qui disposait depuis 1986 d'un permis de construire concernant le lot a ; que, pour les lots b et c, la commune de Bidart a délivré à la requérante le 13 janvier 1993 un permis de construire pour la réalisation de 108 logements ; que ce permis de construire a été annulé le 28 décembre 1995 par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, contre lequel la commune de Bidart et la société requérante ont formé un pourvoi en cassation, rejeté par le Conseil d'Etat le 27 septembre 1999 ; que la SOCIETE IMMOBILIERE DE LA BANQUE DE BILBAO ET DE VISCAYA D'ILBARRITZ a recherché la responsabilité de la commune de Bidart à raison de la délivrance de certificats d'urbanisme erronés, puis d'un permis de construire illégal ; que la SOCIETE IMMOBILIERE DE LA BANQUE DE BILBAO ET DE VISCAYA D'ILBARRITZ se pourvoit régulièrement en cassation contre l'arrêt en date du 9 mai 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, confirmant un jugement du tribunal administratif de Pau du 24 janvier 2002, a rejeté ses prétentions ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant que, pour demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Pau, la SOCIETE IMMOBILIERE DE LA BANQUE DE BILBAO ET DE VISCAYA D'ILBARRITZ invoquait plusieurs chefs de préjudices résultant d'une part, de certificats d'urbanisme erronés, et, d'autre part, d'un permis de construire illégal ; que si la cour, pour écarter les prétentions de la requérante, s'est fondée sur l'absence de lien de causalité entre les dommages allégués et le permis de construire illégal, elle a omis de rechercher si un tel lien pouvait être établi avec les certificats d'urbanisme litigieux ; que cette insuffisance de motivation justifie l'annulation de cet arrêt ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article L. 8212 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : « le certificat d'urbanisme indique, en fonction du motif de la demande, si, compte tenu des dispositions d'urbanisme et des limitations administratives au droit de propriété applicables à un terrain, ainsi que de l'état des équipements publics existants ou prévus, et sous réserve de l'application éventuelle des dispositions législatives et réglementaires relatives aux zones d'aménagement concertées, ledit terrain peut : ( ) b) Etre utilisé pour la réalisation d'une opération déterminée, notamment d'un programme de construction défini en particulier par la destination des bâtiments projetés et leur superficie de plancher hors oeuvre. Lorsque toute demande d'autorisation pourrait, du seul fait de la localisation du terrain, être refusée en fonction des dispositions d'urbanisme, et, notamment, des règles générales d'urbanisme, la réponse à la demande de certificat d'urbanisme est négative. » ; qu'aux termes de l'article R. 410-14 du même code : « lorsque le certificat d'urbanisme déclare que le terrain ( ) peut être utilisé pour la réalisation d'une opération déterminée, cet accord porte exclusivement sur la localisation de l'opération à l'emplacement considéré ( ) compte tenu, s'il y a lieu, de la destination et de la nature des bâtiments projetés et de leur superficie de plancher hors oeuvre. En outre il énonce : les dispositions d'urbanisme à respecter en ce qui concerne l'implantation des bâtiments, leur aspect extérieur, leurs dimensions et l'aménagement de leurs abords » ;

Sur la responsabilité de la commune :

En ce qui concerne la délivrance le 23 août 1989 de certificats d'urbanisme incomplets :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société requérante n'a acquis les parcelles en cause que pour y réaliser un important programme immobilier ; que, conformément aux demandes de la requérante, la commune de Bidart a prorogé à son bénéfice les certificats d'urbanisme qu'elle avait délivrés le 23 août 1989 et qui mentionnaient un coefficient d'occupation des sols de 0,9, sans faire aucune réserve tenant à la sensible réduction de constructibilité impliquée par les dispositions de la loi d'aménagement et d'urbanisme du 3 janvier 1986, dite « loi littoral », lesquelles rendaient impossible la réalisation du projet dont les certificats d'urbanisme attestaient la faisabilité ; que cette omission a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Bidart ; que la circonstance, invoquée par celle-ci, que le permis de construire ultérieurement délivré pour un programme de 108 logements a été annulé au motif que cette opération ne constituait pas une extension limitée d'urbanisation au sens de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, est sans influence sur l'existence de cette faute ; que, dès lors, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Pau a estimé que la responsabilité de la commune ne pouvait pas être recherchée sur le fondement de la délivrance de renseignements erronés ;

Considérant que la très sensible réduction de constructibilité impliquée par l'application des prescriptions de la loi littoral aux parcelles concernées a porté leur valeur réelle en deçà de leur prix d'acquisition ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la commune de Bidart, un lien de causalité direct est établi entre les indications erronées contenues dans les certificats d'urbanisme et le préjudice ainsi subi par la société requérante ;

En ce qui concerne la délivrance le 13 janvier 1993 d'un permis de construire illégal :

Considérant que, le 27 septembre 1999, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi de la requérante contre l'arrêt du 28 décembre 1995 de la cour administrative d'appel de Bordeaux annulant le permis que le maire de Bidard lui avait accordé le 13 janvier 1993 pour construire un ensemble immobilier sur les parcelles litigieuses ; que l'illégalité de ce permis de construire est également de nature à engager la responsabilité de la commune de Bidart ; que, par suite, la société requérante est en droit de demander à la commune de Bidart la réparation du préjudice direct et certain résultant pour elle de cette décision illégale ;

Considérant toutefois que les caractéristiques objectives des parcelles concernées et leur implantation en zone NA-c du plan d'occupation des sols de la commune de Bidart, mentionnée par les certificats d'urbanisme litigieux, auraient dû attirer l'attention de la société requérante, qui, en sa qualité de professionnelle de l'immobilier, ne pouvait ignorer les particularités du site ; qu'en se portant cependant acquéreur desdites parcelles au prix du terrain à bâtir, elle a commis des imprudences fautives qui, dans les circonstances de l'espèce, exonèrent la commune de sa responsabilité pour un tiers ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne le préjudice financier résultant de la baisse de la valeur vénale du terrain :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société requérante a acquis l'ensemble des parcelles pour un prix estimé à 1551 francs par mètre carré, frais de notaire inclus ; qu'il n'est pas contesté que la surface constructible a dû être réduite de 7090 m², en application de l'article L. 146-II du code de l'urbanisme ; que la baisse de la valeur vénale du terrain qui en découle est, en l'espèce, la conséquence directe de la faute précédemment relevée résultant de la délivrance de certificats d'urbanisme incomplets et doit être incluse dans le montant du préjudice indemnisable ; qu'il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une exacte appréciation du préjudice subi par la requérante en l'évaluant à 1 676 419 d'euros ;

En ce qui concerne le préjudice résultant des frais d'architecte :

Considérant que les frais d'architecte strictement liés au projet affecté par la réduction du volume de mètres carrés constructibles doivent également être inclus dans le montant du préjudice indemnisable ; qu'il ressort de l'instruction qu'une partie des frais pris en compte par la société requérante correspond à un projet rejeté par la commission des sites pour un motif sans lien avec le présent litige ; que, dans les circonstances de l'espèce, le préjudice subi par la requérante à ce titre doit être évalué à la somme de 349 629 euros ;

En ce qui concerne les frais de démolition :

Considérant que la requérante fait état du coût de la démolition des bâtiments, préalable nécessaire à la réalisation de son projet initial ; que toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que les mêmes travaux n'auraient pas été entrepris pour la construction des 17 logements finalement autorisés ; que, par suite, leur coût n'est pas la conséquence directe de la faute de la commune ;

En ce qui concerne les frais financiers :

Considérant que la société requérante demande à être indemnisée des frais financiers qu'elle a supporté indûment à compter de 1999, en raison de l'incapacité dans laquelle l'illégalité du permis de construire l'a mise de vendre sur plans les appartements projetés ;

Considérant que ces frais ne peuvent être indemnisés que pour autant qu'ils sont la conséquence directe des agissements fautifs de la commune ; que la requérante ne justifie pas qu'elle a subi à ce titre un préjudice distinct de celui que sont destinés à réparer les intérêts dont doivent être assorties les indemnités attribuées par la présente décision, lesquels auraient d'ailleurs pu courir dès janvier 1996 si elle avait demandé à être indemnisée aussitôt après l'annulation de son permis de construire, prononcée en décembre 1995 par la cour administrative d'appel ; que par suite, les frais financiers dont elle fait état ne constituent pas un préjudice distinct indemnisable ;

En ce qui concerne les préjudices liés à la construction de 17 appartements :

Considérant que la requérante a bâti 17 appartements avant que le permis de construire du 13 janvier 1993 ne soit définitivement annulé ; que ces constructions ont fait l'objet d'un nouveau permis de construire le 17 mai 2000 ; que, faute de pouvoir les vendre dans l'intervalle, elle soutient avoir exposé des frais financiers supplémentaires au cours de la période qui s'est écoulée entre le 28 décembre 1995 et la délivrance de ce permis de construire, puis des frais d'entretien et de remise à niveau indispensables à leur commercialisation résultant d'une inoccupation prolongée ; que la requérante a droit au remboursement de ces dépenses jusqu'à la mi-2000 ; qu'il résulte de l'instruction que jusqu'à cette date le montant de ce chef de préjudice doit être évalué à 353 768 euros ;

En ce qui concerne le manque à gagner :

Considérant que, du fait de l'annulation pour excès de pouvoir de son permis de construire, la société doit être regardée comme n'ayant jamais obtenu un droit à construire ; que, par suite, le bénéfice qu'elle aurait pu retirer de la construction envisagée serait résulté d'une opération elle-même illégale ; que requérante ne saurait dès lors, en tout état de cause, prétendre à être indemnisée de son manque à gagner sur cette opération ;

En ce qui concerne les frais d'assurances, les frais afférents au règlement de la taxe locale d'équipement et la provision constituée pour frais divers :

Considérant que la requérante n'apporte pas les précisions nécessaires permettant d'apprécier le montant du préjudice qu'elle prétend avoir subi ; qu'en particulier, elle n'établit pas que la somme de 100 900 euros qu'elle aurait provisionnée pour couvrir des frais de défense, d'expertises et d'audits éventuels, corresponde à des chefs de dépenses distincts de ceux pour lesquels elle présente des conclusions sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par suite, ces chefs de préjudice ne sauraient être retenus ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée à demander, d'une part, l'annulation du jugement du tribunal administratif de Pau du 24 janvier 2002, d'autre part, la condamnation de la commune de Bidart à lui payer, compte tenu du partage de responsabilité retenu, une somme égale au deux tiers de l'ensemble des préjudices énoncés ci-dessus ayant un lien direct avec les fautes de la commune, soit 1 586 543 euros ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que la société requérante a droit, d'une part, à compter du 10 décembre 1997, date de sa demande d'indemnité adressée à la commune de Bidart, aux intérêts au taux légal sur la part de l'indemnité constituée à cette date, soit 1 444 821 euros ; que les intérêts au taux légal sont également dus sur une somme de 33 557 euros au 31 décembre 1998, sur une somme de 78 639 euros au 31 décembre 1999, et sur une somme de 29 526 au 30 juin 2000 ; que la société requérante est fondée à demander la capitalisation des intérêts à compter du 30 juin 2001 ; qu'il y a lieu de faire droit à la demande à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci ;

Sur l'appel en garantie de l'Etat :

Considérant que les services de l'Etat mis à la disposition des communes pour l'élaboration des documents d'urbanisme et l'instruction des demandes d'occupation des sols agissent en concertation permanente avec le maire qui leur adresse toutes instructions nécessaires pour l'exécution des tâches qui leur sont confiées ; que la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée à ce titre envers les communes que lorsqu'un de ses agents commet une faute en refusant ou en négligeant d'exécuter un ordre ou une instruction du maire ; qu'il ne ressort pas de l'instruction qu'une faute de cette nature ait été commise en l'espèce ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'accueillir les conclusions de la commune de Bidart tendant à ce que l'Etat la garantisse de la totalité des condamnations prononcées à son encontre au profit de la société requérante ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de Bidart le versement à la société requérante d'une somme de 10 000 euros au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, tant en première instance et en appel que devant le Conseil d'Etat ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société requérante, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande la commune de Bidart au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens »

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