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Droit de préemption et détournement de procédure

Cet arrêt retient un détournement de procédure dans l'exercice du droit de préemption urbain.

"La société Alteagroup Real Estate SARL a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner la commune d'Aubervilliers à lui verser une somme de 121 992 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation du préjudice né pour elle des circonstances de la renonciation par le maire de cette commune à l'exercice de son droit de préemption sur un ensemble immobilier situé aux 65-67 rue des cités à Aubervilliers. Par un jugement n° 1108217 du 24 janvier 2013, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 13VE00956 du 30 avril 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a, à la demande de la société Alteagroup Real Estate SARL, annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil et fait droit à la demande présentée par cette société devant le tribunal.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juillet et 7 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune d'Aubervilliers demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 30 avril 2014 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Alteagroup Real Estate SARL ;

3°) de mettre à la charge de la société Alteagroup Real Estate SARL la somme de 5 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la commune d'Aubervilliers, et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la société Alteagroup Real Estate SARL ;

 

 

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 7 juillet 2010, la société Rynda En Primeur, propriétaire d'un bien immobilier situé à Aubervilliers, a conclu au profit de MM. B...et A...une promesse unilatérale de vente de ce bien pour un montant de 3 400 000 euros, une commission d'agence de 121 992 euros devant être versée en plus par les acquéreurs à la société Alteagroup Real Estate SARL, en sa qualité de mandataire du vendeur ; qu'elle a, le 12 juillet 2010, adressé une déclaration d'intention d'aliéner à la commune d'Aubervilliers ; que le 8 septembre 2010, le maire de la commune a décidé d'exercer le droit de préemption urbain pour un prix de 3 000 000 d'euros augmenté de la commission d'agence mentionnée ci-dessus ; que le vendeur n'a pas donné suite à cette offre ; que, le 17 décembre 2010, la société Rynda En Primeur a adressé à la commune une déclaration d'intention d'aliéner le bien en cause à un nouvel acquéreur, la société Salamandre, au prix de 3 400 000 euros ; que la commune n'ayant pas exercé son droit de préemption, la vente est intervenue à ce prix au profit de la société Salamandre ; que la société Alteagroup Real Estate SARL a alors saisi la commune d'une réclamation tendant à l'indemnisation du préjudice né, pour elle, de la perte de la commission d'intermédiaire qu'elle aurait perçue si la première vente avait abouti ; qu'elle a ensuite saisi le tribunal administratif de Montreuil d'une demande tendant à la condamnation de la commune d'Aubervilliers à l'indemniser de ce préjudice ; que, par un arrêt du 30 avril 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement du 24 janvier 2013 rejetant sa demande indemnitaire et fait droit à cette demande ; que la commune d'Aubervilliers se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur la responsabilité de la commune :

2. Considérant, en premier lieu, que, pour juger que la décision de préemption du 8 septembre 2010 était entachée d'un détournement de procédure, la cour a relevé, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, d'une part, qu'il ressortait des extraits du registre du commerce et des sociétés relatifs à la société Salamandre, acquéreur du bien en litige, et à la société Sirius, elle-même liée juridiquement et économiquement à la commune d'Aubervilliers, que ces deux sociétés avaient un même président et, d'autre part, que, par un courrier du 18 novembre 2010 qu'elle avait adressé au maire de la commune, avant l'intervention le 17 décembre 2010 de la seconde déclaration d'intention d'aliéner, la société Alteagroup Real Estate SARL expliquait avoir été informée par la société Rynda En Primeur de ce que la commune lui aurait suggéré de vendre son bien immobilier à un tiers désigné par elle en contrepartie de la garantie que le droit de préemption ne serait pas exercé ; qu'en en déduisant que la société Alteagroup Real Estate SARL produisait des éléments convaincants à l'appui de ses allégations selon lesquelles le comportement de la commune d'Aubervilliers, décidant puis renonçant à la préemption du bien en litige, aurait eu, en réalité, pour unique objet de permettre l'acquisition de ce bien par une société liée à elle et en jugeant que le motif invoqué en défense par la commune d'Aubervilliers pour justifier la renonciation à l'exercice de son droit de préemption à l'occasion de la seconde déclaration d'intention d'aliéner ne contredisait pas sérieusement les allégations de la société Alteagroup Real Estate SARL, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits qui n'est entachée d'aucune dénaturation ;

3. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a expressément relevé qu'elle avait, par un arrêt du 17 octobre 2013 confirmant un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 26 octobre 2011 annulant la décision de préemption du 8 septembre 2010, jugé que cette décision méconnaissait, en l'absence de projet justifiant l'exercice du droit de préemption, les prescriptions des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ; que la commune n'est, par suite, pas fondée, en tout état de cause, à soutenir que la cour aurait entaché son arrêt d'erreur de droit en jugeant illégale la décision de préemption sans rechercher si elle méconnaissait les dispositions de ces articles ;

Sur l'arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice et le lien de causalité :

4. Considérant, en premier lieu, qu'après avoir souverainement apprécié, d'une part, que la promesse de vente signée le 7 juillet 2010 ne comportait aucune condition suspensive, autre que celle tenant à l'exercice du droit de préemption par la commune, susceptible de faire échec à cette vente, et, d'autre part, que rien ne permettait de présumer que MM. B...et A...auraient, en l'absence de préemption, renoncé au bénéfice de cette promesse de vente, la cour a pu, sans entacher son arrêt d'erreur de qualification juridique des faits, en déduire que l'échec de la première vente trouvait sa cause directe et certaine dans l'exercice illégal, par le maire d'Aubervilliers, du droit de préemption urbain ; que, par ailleurs, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce qu'elle a relevées, tenant à l'incitation faite par la commune à la société Rynda En Primeur de céder son bien à un autre acquéreur qu'elle lui avait désigné sans recourir aux services de la société Alteagroup Real Estate SARL, la cour n'a pas davantage entaché son arrêt d'erreur de qualification juridique des faits en jugeant que l'absence de perception, par cette société, de sa commission d'intermédiation trouvait également sa cause directe et certaine dans l'exercice illégal du droit de préemption par la commune ;

5. Considérant, en second lieu, qu'à l'issue d'une procédure de préemption qui n'a pas abouti, le propriétaire du bien en cause, et, le cas échéant, le négociateur chargé de sa vente, peuvent, si la décision de préemption n'était pas légalement justifiée, obtenir réparation de l'intégralité du préjudice que leur a causé de façon directe et certaine cette illégalité ; qu'ainsi, en jugeant, après avoir relevé que la non-perception de la commission d'intermédiation trouvait directement sa source, dans les circonstances particulières de l'espèce, dans l'exercice illégal du droit de préemption par le maire, que la société Alteagroup Real Estate SARL était fondée à demander la condamnation de la commune d'Aubervilliers à lui verser une somme égale au montant de la commission prévue par la promesse de vente initiale, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Aubervilliers n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles qu'elle attaque ;

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Alteagroup Real Estate SARL, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune d'Aubervilliers demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Aubervilliers le versement à la société Alteagroup Real Estate SARL d'une somme de 3 000 euros à ce titre ;

 

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de la commune d'Aubervilliers est rejeté.
Article 2 : La commune d'Aubervilliers versera à la société Alteagroup Real Estate SARL la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Aubervilliers et à la société Alteagroup Real Estate SARL."

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