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Airbnb et clause d'habitation bourgeoise : pas vraiment compatibles

Cet arrêt juge que la location d'un appartement par l'intermédiaire de AIRBNB constitue une activité commerciale qui est incompatible avec l'occupation bourgeoise visée dans le règlement de copropriété.

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"EXPOSÉ DU LITIGE

Les époux [C] étaient copropriétaires d'un appartement situé au sein de la copropriété [Adresse 11] sise au [Adresse 2] à [Localité 10].

Monsieur [X] et Madame [Z], autres copropriétaires ont fait assigner les époux [C] devant le tribunal judiciaire de Gap aux fins de voir :

-constater que par la violation du règlement de copropriété, les époux [C], en mettant à disposition de leurs clients, leur appartement dans le cadre d'un contrat de courte durée, violent les obligations résultant du règlement de copropriété ;

-constater qu'ils causent, par cette violation, un préjudice de jouissance à l'égard des autres copropriétaires et notamment Monsieur [X] et Madame [Z] ;

-en conséquence, les condamner à verser une indemnité de 1 000 euros par mois à compter du début de la mise à disposition de leur appartement dans le cadre des contrats de type AIR BNB, soit à compter de janvier 2019, soit à la date du mois d'août 2019, la somme de 8 000 euros de dommages intérêts à verser à chacun des deux demandeurs ;

-les condamner à verser une somme de 1 000 euros de dommages-intérêts à chacun des deux demandeurs au titre de l'indemnisation de leur préjudice de jouissance par mois de violations du règlement de copropriété à compter du mois de septembre 2019 inclus jusqu'à la cessation du trouble causé ;

-les condamner à verser une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Par jugement du 21 juin 2021, le tribunal judiciaire de Gap a :

-constaté qu'en mettant leur appartement à disposition de clients dans le cadre d'un contrat de location de courte durée de type AIRBNB, Monsieur [C] [M] et Madame [C] [N] ont violé les obligations résultant du règlement de copropriété,

-constaté qu'ils ont, par cette violation, causé un préjudice de jouissance à l'égard de Monsieur [X] [G] et de Madame [Z] [V],

-condamné Monsieur [C] [M] et Madame [C] [N] à verser tant à Monsieur [X] [G] qu'à Madame [Z] [V] la somme de 1.000,00 euros chacun à titre de dommages-intérêts,

-débouté Monsieur [X] [G] et Madame [Z] [V] de leurs demandes plus amples et contraires,

-débouté Monsieur [C] [M] et Madame [C] [N] de l'intégralité de leurs demandes en ce compris celles reconventionnelles,

-condamné Monsieur [C] [M] et Madame [C] [N] à verser la somme totale de 1.500,00 euros à Monsieur [X] [G] et Madame [Z] [V] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné Monsieur [C] [M] et Madame [C] [N] aux entiers dépens.

Le 26 juillet 2021, les époux [C] ont interjeté appel de ce jugement.

Le 24 septembre 2021, Madame [C] est décédée.

MM. [D] [C], [L] [C], et [U] [C], ses enfants, sont intervenus volontairement à l'instance


Dans leurs conclusions notifiées le 31 janvier 2023, les consorts [C] demandent à la cour de:

Vu la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis,

Vu le décret n°67-223 du 17 mars 1967 pris pour l'application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu le règlement intérieur et les éléments versés aux débats,

-réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

-juger l'appel et l'intervention volontaire de Monsieur [M] [C], Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C], Monsieur [U] [C] recevable et bien fondé,

-dire irrecevables Monsieur [X] et Madame [Z] en leur action, faute d'avoir informé le syndic de leur action,

-constater et déclarer que le règlement de copropriété n'interdit pas la location meublée de courte durée,

-constater et déclarer que l'existence à l'endroit de Monsieur [M] [C], de Monsieur [D] [C], de Monsieur [L] [C] et de Monsieur [U] [C] d'un trouble anormal ou d'un abus de leur droit de propriétaire d'user de leur bien immobilier comme bon leur semble n'est pas caractérisée,

-débouter Monsieur [X] et Madame [Z] de leurs demandes comme étant infondées et injustifiées,

-ordonner à Monsieur [X] et Madame [Z] de cesser toute entrave, de quelque nature que ce soit, à la libre disposition par Monsieur [M] [C], Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C] et Monsieur [U] [C] de l'appartement dont ils sont propriétaires au sein de la copropriété, en ce compris toute entrave à la mise en location du bien,

-préciser que cette interdiction sera sanctionnée en cas de manquement par une astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, laquelle pourra être démontrée par tout moyen, et condamner Monsieur [X] et Madame [Z] au paiement de cette astreinte au profit de Monsieur [M] [C], Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C] et de Monsieur [U] [C],

-condamner Monsieur [X] et Madame [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à verser à Monsieur [M] [C], Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C] et Monsieur [U] [C] une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [C] énoncent que l'action intentée par M.[X] et Mme [Z] est irrecevable au motif qu'ils n'ont pas informé le syndic de leur action, contrairement aux dispositions de l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965.

Subsidiairement sur le fond, ils rappellent qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965, chaque copropriétaire use et jouit librement de ses parties privatives sous la condition de ne pas porter atteinte aux droits des autres copropriétaires et à la destination de l'immeuble. Ils indiquent qu'en l'espèce, la location de type AIRBNB n'est pas interdite par le règlement de copropriété, que ce soit expressément ou implicitement, qu'il n'est versé aucun élément sérieux et suffisant pour caractériser une quelconque nuisance ou trouble occasionné à la copropriété par les époux [C], et encore moins qui aurait été généré par des locations via AIRBNB.

Ils réfutent avoir mis en place une activité d'hôtellerie et contestent la teneur des attestations versées aux débats.

Ils déclarent que les consorts [X]-[Z] agissent de manière à nuire aux locataires et par voie de conséquence à eux-mêmes.

Dans leurs conclusions notifiées le 15 septembre 2022, M.[X] et Mme [Z] demandent à la cour de:

Vu les articles 1217 et 1231-1 et suivants du code civil,

Vu le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Gap le 21 juin 2021 opposant le syndicat des copropriétaires aux époux [C],

-constater l'intervention volontaire, en qualité d'ayant-droit de feue Madame [N] [K]-[C], de Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C] et Monsieur [U] [C] ;

-confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré recevables et bien fondées sur le fond les demandes de Monsieur [X] [G] et de Madame [Z] [V] et notamment en constatant qu'en mettant leur appartement à disposition de clients dans le cadre d'un contrat de courte durée de type AIRBNB, Monsieur [C] et Madame [C] ont violé les obligations résultant du règlement de copropriété et constaté qu'ils ont, par cette violation, causé un préjudice de jouissance à l'égard de Monsieur [X] et de Madame [Z] et les ont condamnés à les indemniser ;

-réformer partiellement le jugement entrepris quant au montant de l'indemnisation de ces derniers et statuant à nouveau :

-condamner Monsieur [M] [C] ainsi que les ayant-droit de feue Madame [N] [K]-[C], décédée, à savoir Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C] et Monsieur [U] [C] à verser une indemnité de 1 000,00 euros par mois de violation du règlement de copropriété depuis janvier 2019 à chacun des 2 intimés jusqu'à la date du jugement rendu ;

Soit à compter du mois de janvier 2019 jusqu'à la date du jugement au mois de juin 2021 sur 30 mois, la somme de :

-30 000,00 euros à Monsieur [X]

-30 000, 00 euros à Madame [Z]

-les condamner en outre à verser une somme indemnitaire de 1 000,00 euros à chacun des intimés à titre de dommages-intérêts par mois à compter du mois de juillet 2021 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir ;

-confirmer le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

-les condamner à verser une somme de 4 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

M.[X] et Mme [Z] énoncent que depuis 2018, Monsieur et Madame [C], propriétaires de l'un des deux appartements au niveau 1, ont pris pour habitude de mettre à disposition leur appartement à des tiers touristes dans le cadre d'un contrat de réservation de type AIRBNB sur internet pour des périodes de quelques jours, notamment en période de vacances, qu'ils ont ainsi transformé leur lot en hôtellerie, et ce en contrariété avec le règlement de copropriété.

Ils font état de multiples troubles de voisinage et d'un préjudice qu'ils subissent personnellement, ce qui permet à leur action d'être recevable et bien fondée au vu des troubles et nuisances allégués.

La clôture a été prononcée le 1er février 2023.


MOTIFS

Sur la recevabilité de l'action

Il ressort de la lecture du règlement de copropriété du 5 mars 2004 les éléments suivants :

La rubrique «condition d'usage de l'immeuble, destination de l'immeuble » précise que « l'immeuble est destiné à l 'usage d 'habitation. L 'exercice de profession libérale est toléré sous les conditions énoncées ci-après au paragraphe usage des parties privatives ».

Le paragraphe « usage des parties privatives » indique :

«Principes :

Chacun des copropriétaires aura le droit de jouir comme bon lui semble des parties privatives comprises dans son lot, à la condition de ne pas nuire aux droits des autres copropriétaires et de ne rien faire qui puisse compromettre la solidité, la sécurité ou la tranquillité de l 'immeuble ni de porter atteinte à sa destination.

Occupation :

Les appartements ne pourront être occupés que bourgeoisement; l'exercice de professions libérales est toutefois toléré dans les appartements à condition de ne pas nuire à la bonne tenue et à la tranquillité de l'immeuble ; mais il est interdit d'y installer des bureaux commerciaux ou administratifs.

Locations :

Les copropriétaires pourront louer leurs appartements comme bon leur semblera, à la condition que les locataires soient de bonne vie et moeurs et qu'ils respectent les prescriptions du présent règlement ainsi que la destination de l 'immeuble.

Les baux et engagements de location devront imposer aux locataires l'obligation de se conformer aux prescriptions du présent règlement.

En tout cas, les copropriétaires resteront personnellement garants et responsables de l'exécution de cette obligation.

Lorsqu'un bail ou un engagement de location aura été consenti, le copropriétaire devra, dans les quinze jours de l 'entrée en jouissance du locataire, en aviser le syndic par lettre recommandée.

La transformation des appartements en chambres meublées pour être louées à des personnes distinctes est interdite, mais les locations en meuble, par appartement entier, sont autorisées ».

En droit, la clause d'habitation bourgeoise se définit comme l'obligation pour chaque propriétaire ou son locataire, de respecter le caractère bourgeois de l'immeuble, c'est-à-dire sa vocation à être un immeuble d'habitation. Dès lors, les activités commerciales, artisanales et industrielles sont prohibées au sein de l'immeuble (Civ. 3eme, l4 octobre 1964).

Les meublés de tourisme sont pour leur part définis par l'article D.324-1 du code du tourisme comme « des villas, appartements, ou studios meublés, à l'usage exclusif du locataire, offerts en location à une clientèle de passage qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois, et qui n'y élit pas domicile ».

En l'espèce, la preuve n'est pas rapportée que la location est accompagnée de prestations qui revêtent le caractère d'un service para hôtelier, ce qui permettrait de qualifier l'activité de commerciale.

En revanche, il résulte du courrier adressé par la mairie de [Localité 10] le 22 juin 2020 que le logement litigieux a fait l'objet d'une déclaration en mairie en qualité de meublé de tourisme en application de l'article L.324-4-1 du code de tourisme, or la mairie a précisé que cette déclaration avait été établie par M.[U] [C], agissant en qualité de professionnel. Le terme de professionnel sous-entend nécessairement que cette activité est exercée de manière régulière à but lucratif.

Cette notion de professionnel est également attestée par les annonces proposées par M.[U] [C], qui figure en qualité de gérant immobilier/professionnel sur l'annonce Abritel (pièce 24 du syndicat des copropriétaires) et qui indique disposer d'autres adresses (pièce 29 du syndicat des copropriétaires).

En outre, il convient de relever que la multiplicité et la rotation élevée des occupants contrevient à l'exigence de stabilité et de quiétude propre à l'occupation bourgeoise de l'immeuble fixée par le règlement de copropriété, étant en outre observé que les passages des différents locataires conduisent à avoir des parties communes très sales, ainsi qu'une multitude de véhicules en stationnement sur le parking, ainsi qu'en attestent les photographies versées aux débats, dont le nombre n'est pas compatible avec la taille de l'immeuble, composé de seulement quatre logements.

En conséquence, il est établi que la location de cet appartement constitue une activité commerciale qui est incompatible avec l'occupation bourgeoise visée dans le règlement de copropriété. Il y a donc bien violation de ce dernier.

Selon l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965, dans sa version applicable lors de l'assemblée litigieuse, le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu'en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble.

Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d'en informer le syndic.

Il résulte de ce texte et d'une jurisprudence constante que lorsque le copropriétaire agit seul pour la défense de la propriété ou de la jouissance de son lot, il doit informer le syndic, cette formalité n'étant toutefois pas requise à peine d'irrecevabilité de la demande.

La demande des consorts [X] et [Z] est donc recevable.

Compte tenu de la nature du trouble et de la durée de celui-ci, il sera alloué à chacun des intimés la somme de 5 000 euros, le jugement sera infirmé.

Les autres demandes des consorts [C] sont sans objet.

Les consorts [C] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Donne acte à MM. [D] [C], [L] [C] et [U] [C] de leur intervention volontaire ;

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

-condamné Monsieur [C] [M] et Madame [C] [N] à verser tant à Monsieur [X] [G] qu'à Madame [Z] [V] la somme de 1 000,00 euros chacun à titre de dommages-intérêts,

-débouté Monsieur [X] [G] et Madame [Z] [V] de leurs demandes plus amples et contraires ;

et statuant de nouveau ;

Condamne Monsieur [M] [C], Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C], Monsieur [U] [C] à verser à M.[X] et Mme [Z] chacun la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne Monsieur [M] [C], Monsieur [D] [C], Monsieur [L] [C], Monsieur [U] [C] à verser à M.[X] et Mme [Z] ensemble la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne MM. [M] [C], [D] [C], [L] [C] et [U] [C] aux dépens d'appel.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire."

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