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Les huskies et le trouble du voisinage

Les chiens huskies constituaient un trouble anormal du voisinage.

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"Monsieur Denis S. est propriétaire occupant d'un appartement situé en rez de chaussée d'un immeuble en copropriété sis à Tulle et monsieur Laurent F. est propriétaire d'un appartement à usage locatif situé dans ce même immeuble.

Monsieur S., qui participe à des courses de chiens de traîneaux, est propriétaire de plusieurs chiens de race huskie, installés dans des parcs à proximité de l'immeuble.

Monsieur F., se plaignant de nuisances sonores et olfactives liées à la présence des chiens faisant obstacle tant à la mise en location qu'à la vente de son bien, a par acte du 9 mars 2017 fait assigner monsieur S. devant le tribunal de grande instance de Tulle qui, par jugement du 15 octobre 2018 :

- a reconnu l'existence d'un trouble anormal causé par monsieur S. à son voisinage par la présence, de jour comme de nuit et en nombre, de plus de dix chiens de grande taille sur une petite surface, source de nuisances du fait de leurs aboiements et de dépôt d'excréments et d'urines ;

- a condamné monsieur S., sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai d'un mois suivant la signification du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à retirer ses chiens de la zone litigieuse, en les installant à plus de vingt mètres de l'immeuble, en nombre qui ne saurait dépasser huit et avec tous les dispositifs utiles pour limiter les aboiements ;

- a condamné monsieur S. à payer à monsieur F. la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral et celle de 50.000 euros en réparation de son préjudice économique lié à la perte de loyers depuis septembre 2010 jusqu'en avril 2018 , sur la base d'un loyer mensuel de 600 euros ;

- a condamné monsieur S. aux dépens et à payer à monsieur F. la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

Le 12 novembre 2018, monsieur S. a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions .

Par ses dernières conclusions déposées le 19 septembre 2019, monsieur S. demande à la cour :

- de débouter monsieur F. de l'ensemble de ses demandes, en ce qu'elles sont prescrites, ou, à tout le moin , non fondées,

- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement dont appel uniquement en sa disposition relative au retrait des chiens ;

- de condamner monsieur F. aux dépens, comprenant un procès verbal de constat par huissier de justice du 19 juin 2019 , et de condamner monsieur F. à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

Sur la prescription, il fait valoir que l'action en trouble anormal de voisinage se prescrit par cinq ans, qu'il est recevable en application de l'article 123 du code de procédure civile à soulever cette fin de non recevoir en cause d'appel et que les nuisances alléguées ayant pu apparaître en 2010, monsieur F. est irrecevable en son action introduite en mars 2017.

Monsieur S. conteste l'existence même d'un trouble anormal du voisinage et un lien de causalité entre ce trouble et le préjudice allégué par monsieur F. qui a mis son bien en vente depuis 2010.

Par ses dernières conclusions déposées le 21 août 2019 et auxquelles il est renvoyé, monsieur F. demande à la cour de confirmer le jugement uniquement en ce qu'il a reconnu l'exitence d'un trouble anormal de voisineg et le réformant pour le surplus :

- de condamner monsieur S. à retirer tous les chiens de sa propriété sous une astreinte de 100 euros par jour de retard dès le prononcé de l'arrêt ,

- de condamner monsieur S. à lui payer :

la somme de 21.200 euros au titre de la perte de chance de louer son bien,

la somme de 32.000 euros au titre de la dépéraciation de la valeur du bien et celle de 4.045 euros au titre des charges de l'appartement, ou, subsidiairement, celle de 32.000 euros en indemnisation de la perte de chance de vendre le bien,

en tout état de cause, la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral ;

- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné monsieur S., sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai d'un mois suivant la signification du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à retirer ses chiens de la zone litigieuse, en les installant à plus de vingt mètres de l'immeuble, en nombre qui ne saurait dépasser huit et avec tous les dispositifs utiles pour limiter les aboiements et condamné monsieur S. à lui payer la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral;

- en tout état de cause, de condamner monsieur S. aux dépens de l'appel et à lui payer la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la prescription, monsieur F. réplique qu'en 2010, la présence de chiens en moins grand nombre n'était pas nuisible et que les troubles sont apparus lorsque monsieur S. en a multiplié le nombre pour les besoins de ses compétitions, soit en 2015 et moins de cinq années avant l'assignation de mars 2017.

SUR CE,

Sur la prescription :

Attendu qu'en application de l'article 123 du code de procédure civile disposant que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, monsieur S. est recevable à opposer à monsieur F. pour le première fois en cause d'appel le moyen pris de la prescription de son action ;

Attendu que l'action en indemnisation d'un préjudice résultant de troubles anormaux de voisinage est une action personnelle en responsabilité extra-contractuelle, soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil et dont le point de départ est la première manifestation des troubles ; qu'il appartient à monsieur S., qui invoque la prescription de l'action introduite par monsieur F. par assignation du 09 mars 2017, d'établir que les troubles allègués, résultant de la présence en nombre de chiens à proximité de l'immeuble, se sont manifestés antérieurement au 09 mars 2012 ;

Attendu que c'est par un courrier recommadé du 22 décembre 2015 que monsieur F. s'est plaint pour la première fois de nuissances dues à la présence des chiens en écrivant : 'Depuis plusieurs années, vous n'avez de cesse de développer votre nombre de chiens sur votre propriété et les enclos se multiplient tant sur la partie haute que sur la partie basse de votre propriété...le nombre d'animaux est à l'origine de nuisances tant sur le plan visuel que vis-à-vis des odeurs et des bruits permanents liés aux aboiements..' ; que, mis à part le constat de la présence de huit chiens le 15 juin 2017, monsieur S. se garde de préciser le nombre exact de chiens qu'il a pu détenir à d'autres périodes déterminées et la date d'installation des niches et des enclos litigieux, dont la présence a été constatée par huissier de justice le 16 novembre 2016 ;

qu'il sera en outre être observé :

- que, devant la cour comme cela était déjà le cas devant le premier juge, monsieur F. sollicite une indemnisation au titre d'une perte de loyers à partir de 2015 seulement, ce qui sous -entend que les nuisances alléguées comme ayant pu entraver la mise en location du bien, ne se sont manifestées qu'à partir de 2015 et que c'est en statuant ultra petita que le tribunal a condamné monsieur S. à l'indemniser d'une perte de loyers pour une période remontant à septembre 2010 ;

- que les document produits par monsieur F. en vue de faire la preuve des nuissance subies font état de troubles constatés en 2015 et 2016 et non antérieurement ;

- qu'il ne saurait être déduit du fait que monsieur F. ait mis son bien en vente en 2010 au prix de 90.000 euros, puis en 2011 au prix de 80.000 euros et en 2012 au prix de 70.000 euros, et qu'il sollicite, au titre d'une perte de valeur, une indemnisation à hauteur de 32.000 euros en retenant lui-même une dépréciation du bien lié à l'état du marché immobilier de l'ordre de 20% entre 2010 et ce jour, qu'il sollicite la réparation d'un préjudice de dépréciation pour cause de nuisances remontant à 2010;

qu'il convient, au vu de ces éléments de fait, de dire que la preuve n'est pas faite de la survenance des troubles allégués antérieurement au 09 mars 2012 et de dire monsieur F. recevable en son action ;

Sur l'existence de troubles anormaux du voisinage :

Attendu que l'appartement de monsieur F. occupe le niveau supérieur d'un petit immeuble en copropriété érigé sur un terrain en forte pente, que monsieur S. est propriétaire de l'appartement situé juste en dessous, désigné comme étant à l'entresol et que monsieur P. est propriétaire d'un appartement situé au premier sous-sol ; que monsieur S. est en outre propriétaire de parcelles à usage de jardin situées en contrebas de cet immeuble, et de deux garages avec terrain autour qui lui ont été vendus par monsieur F. en mai 2012 ;

Attendu que monsieur F., qui avait donné son appartement à bail à une dame F. en décembre 1998, a donné un mandat de vente à monsieur D. le 15 septembre 2010, ainsi qu'à l'agence Blayez immobilier, ce dernier mandat ayant été modifié par avenants des 02 décembre 2011 et du 27 avril 2012 ; qu'il a ensuite diffusé une annonce de vente sur le site 'Le Bon Coin' ;

que, pour asseoir ses prétentions, monsieur F. produit devant la cour comme il l'a fait devant devant le premier juge :

- les courriers qui lui ont été adressé les 16 novembre 2016, 18 novembre 2016 et 19 avril 2018 par trois agents immobiliers - monsieur D., l'agence Blayez Immobilier ainsi que l'agence Celaur Immobilier - lui faisant part des possibilités de vente devenues quasi-impossibles compte tenu de la présence de nombreux chiens attachés à l'appartement du dessous, de la vue sur le chenil depuis la terrasse de l'appartement et des nuisances visuelles, olfactives et sonores induites par la présence de ces animaux ;

- les témoignages de trois personnes qui ont été candidates à l'acquisition de son bien à la suite de l'annonce publiée sur le site 'Le Bon Coin'- madame B., madame G. et madame D. - disant avoir visité l'appartement en novembre 2015, en juin 2016 et en avril 2018 et faisant état des aboiements intempestifs qu'elles ont subis dès qu'elles se sont retrouvées sur la terrasse, ainsi que des odeurs nauséabondes qu'elles ont ressenties depuis cette terrasse à raison de la présence du chenil à toute proximité ;

- le constat qu'il a fait dresser par huissier de justice le 16 novembre 2016, mentionnant la présence de niches et de chiens au niveau de l'entrée de l'appartement de monsieur S. et une odeur d'urine remarquable devant les garages et ressentie depuis la voie publique ;

- plusieurs clichés photographiques démontrant que monsieur S. a installé plusieurs enclos avec niches permettant l'accueil d'au moins quatorze chiens : deux en terrasse (pièce 4.5), huit en contrebas de sa terrasse (pièce 4.3 et 4.10) et quatre à proximité du garage (pièces 4.4, 4.6 ou 4.9) ;

Attendu que, de son côté, monsieur S. produit comme en première instance :

- le témoignage de monsieur P., qui est son plus proche voisin comme ayant acquis en 2013 l'appartement situé au premier sous-sol de immeuble litigieux, ainsi que deux parcelles BYn° 201 et 202 contiguës à la parcelle BY n°199 sur laquelle sont édifiés les garages que monsieur S. a achetés à monsieur F. en mai 2012 (piècesn°21 et 36 de l'appelant), et indiquant que monsieur S. a retiré les chiens de sa terrasse, que les animaux ne sont pas bruyants et qu'il ne ressent aucune gêne à raison des parcs situés à moins de dix mètres de sa propriété ;

- le témoignage de monsieur B., propriétaire depuis le 24 juin 2010 (piècen°24 de l'appelant) de la parcelle bâtie BY n°122, également contiguë à la parcelle BY n°199 ( cf pièce 36 de l'appelant) et disant n'avoir jamais été dérangé par les aboiements, ou par les odeurs des chiens;

- un procès verbal de constat dressé par huissier de justice le 15 juin 2017 indiquant la présence en contrebas de sa terrasse de quatre parcs abritant huit chiens qui sont restés calmes, sans aboyer, et mentionnant, malgré une température extérieure de 29°C, l'absence d'odeurs autres qu'une légère odeur de chiens au niveau des parcs ;

Qu'il produit en outre et pour la première fois en cause d'appel douze témoignages, datés d'octobre et novembre 2018, rédigés par des personnes disant toutes n'avoir relevé aucune nuisance sonore ou olfactive liée à la présence des chiens :

- celui de madame Agnès F. qui a occupé l'appartement de monsieur F. à une époque où monsieur S. avait déjà plusieurs chiens, mais à des dates qui ne sont pas précisées ;

- ceux de madame Da C., des consorts S.-B. et de madame R., qui habitent tous à une centaine de mètres du lieu des nuisances alléguées et qui n'ont donc pu être témoins de nuisances visuelles ou olfactives ayant pu être causées par la présence des chiens;

- ceux monsieur M., monsieur L., monsieur H., madame Dupuis-P., monsieur D., monsieur E. et madame M. , qui sont toutes des personnes avec lesquelles il est ou a été en relations amicales ou sportives et dont la totale impartialité peut être suspectée;

Attendu que les inconvénients générés par la présence en nombre de chiens sur un même site doit s'apprécier in concreto ; qu'en l'espèce, la présence d'un chenil installé à ciel ouvert pour accueillir plus d'une dizaine de chiens à toute proximité puisque'à moins de dix mètres d'un immeuble d'habitation, en l'absence de tous équipements particuliers permettant d'en limiter les nuisances visuelles, sonores ou olfactives qui en sont nécessairement induites - équipements qui ont ici fait défaut - ne peut qu'être considéré, pour le propriétaire de l'appartement avec terrasse ayant une vue directe sur ce chenil, comme dépassant le seuil normal de ce que l'on doit tolérer de son voisin ;

Que donc, nonobstant les témoignages apportés par monsieur S. pour combattre les éléments de preuve apportés par monsieur F., le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il retenu l'existence d'un trouble anormal de voisinage ;

Sur le retrait des chiens :

Attendu qu'en exécution du jugement dont appel assorti de l'exécution provisoire, monsieur S. a procédé au retrait de tous ses chiens ainsi qu'il en est justifié par un constat dressé par huissier de justice le 19 juin 2019 ; qu'il n'y a donc pas lieu à majoration de l'astreinte prononcée par le premier juge ;

Sur la réparation du préjudice :

Attendu que monsieur F. indique que sa locataire, madame F., est restée dans les lieux jusqu'en 2010 (cf page 7 de ses conclusions) ; qu'il ne démontre pas avoir, postérieurement à cette libération des lieux, accompli la moindre démarche en vue de sa remise en location ; qu'il résulte au contraire des mandats de vente qu'il a consentis à des agents immobiliers en 2010, 2011 et 2012 que son intention a été, non de louer, mais de vendre l'appartement, vente qu'il na pu réaliser alors même qu'à cette époque la présence de chiens n'était pas source d'un trouble anormal de voisinage, trouble qui, selon ses propres dires, n'a été caractérisé qu'à partir de 2015 lorsque monsieur S. a multiplié le nombre de ses chiens ;

qu'à partir de 2015, sa volonté est restée celle de vendre le bien et non de le louer et que sa demande en paiement d'une somme de 21.200 euros en indemnisation d'une perte de loyers, qui n'est pas fondée, doit être rejetée ;

Attendu que monsieur F. demande la somme de 32.000 euros en indemnisation d'une dépréciation de la valeur de son bien entre 2015 et 2018 en s'appuyant sur l'écrit de l'agence Delaur du 10 juillet 2018 indiquant que, dans un contexte normal, soit hors nuisances, la valeur du bien se situe entre 70.000 euros et 75.000 euros mais qu'il n'est que de 40.000 euros dans le contexte de troubles du voisinage ; que, toutefois, monsieur S. a procédé au retrait de tous ses chiens et que, si en l'absence d'occupation du logement de monsieur F. il a pu stationner son véhicule devant la porte de ce logement, aucune nuisance susceptible d'influer négativement sur la valeur vénale du bien n'est à ce jour d'actualité ; que monsieur F., qui avait signé le 15 septembre 2010 un mandat de vente au prix de 90.000 euros pour l'appartement et la parcelle BY 199, qu'il a cédée à monsieur S. en mai 2012 et le 27 avril 2012 un mandat de vente pour l'appartement seul au prix de 70.000 euros, ne rapporte pas la preuve d'un préjudice lié à une érosion du marché immobilier entre 2015 et 1018 et qu'il verra donc rejeter une telle prétention;

Attendu que monsieur F. sollicite également une somme de 4.045 euros en indemnisation des charges exposées pour la conservation de l'appartement mais sans que cette prétention ne soit étayée par le moindre justificatif ; qu'il en sera donc débouté ;

Attendu, en revanche, que monsieur F. est en droit d'obtenir une indemnisation pour la perte financière consécutive à la perte de chance d'avoir pu réaliser plus tôt la vente de son appartement, perte de chance qui compte tenu d'une mise en vente infructueuse à partir de 2010, doit être retenue à hauteur de 50%, et qui, sur la base de trois années avec un taux de rendement maximum de 3%, sera fixée à 3.200 euros ;

Attendu que la présence des chiens aura été pour monsieur F. cause de tracasseries et de démarches diverses et que monsieur S. lui doit réparation de ce préjudice moral par le versement d'une somme de 1.000 euros ;

Attendu que monsieur S., qui succombe partiellement en son appel, doit en supporter les dépens ; que l'équité ne commande pas de le condamner à payer à monsieur F., sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme complémentaire à celle allouée par le premier juge ;

PAR CES MOTIFS

 

LA COUR

Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Tulle en date du 15 octobre 2018, sauf en ses dispositions relatives à la réparation des préjudices subis par monsieur Laurent F. ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne monsieur Denis S. à payer à monsieur Laurent F. la somme de 3.200 euros au titre de la perte de chance de vendre son appartement et celle de 1.000 euros au titre de son préjudice moral ;

Dit n'y avoir lieu, en cause d'appel, à application de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamne monsieur Denis S. aux dépens de l'appel."

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