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Principe de réparation intégrale et garantie décennale

Cet arrêt juge que l'acquéreur auquel a été transmise l'action en garantie décennale attachée à l'ouvrage est en droit d'obtenir la réparation intégrale du préjudice causé par les dommages dont les constructeurs peuvent être tenus responsables sur ce fondement, quel que soit le prix de la cession.

Les nouvelles règles du Code civil en matière de paiement - Le Journal du  Recouvrement

"Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 mars 2021), M. [N] a confié à la société Coopérative de réalisations industrielles et agricoles (la société Coria) l'installation d'une pompe à chaleur pour le chauffage d'une serre.

2. La pompe à chaleur a été vendue à la société Coria par la société Airwell France (la société Airwell), assurée auprès de la société Aviva assurances (la société Aviva), puis de la société Axa Corporate Solutions (la société Axa), aux droits de laquelle vient la société XL Insurance Company SE.

3. Les serres et le matériel d'exploitation de M. [N], placé en liquidation judiciaire, ont été acquis par la société civile d'exploitation agricole APS Cleusmeur (la SCEA).

4. Se plaignant de dysfonctionnements de la pompe à chaleur, la SCEA, représentée par son liquidateur judiciaire, a assigné les sociétés Coria, Airwell, Aviva et Axa en indemnisation de ses préjudices.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. La société Fides, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCEA, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes indemnitaires formées contre les sociétés Coria, Airwell et Axa, alors :

« 1°/ que l'action en responsabilité décennale est un accessoire de l'élément d'équipement d'un ouvrage, quel que soit le prix de cession de cet élément d'équipement ; qu'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de la société Coria, que lui allouer la somme de 92 560 euros, représentant le coût de remplacement de la pompe à chaleur, reviendrait à enrichir le patrimoine de la liquidation judiciaire de la SCEA APS Cleusmeur qui avait acquis ladite pompe le 9 août 2011 au prix de 4 999 euros dans le cadre de la liquidation judiciaire de son précédent propriétaire, la cour d'appel a violé l'article 1792-2 du code civil ;

2°/ qu'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de la société Coria, que c'est la prise de risques de la société APS Cleusmeur - laquelle a lancé une production de roses au printemps 2012 alors qu'elle avait connaissance tant du non-fonctionnement de la pompe à chaleur que du fait qu'elle ne disposait pas d'une trésorerie lui permettant d'acheter du fuel - qui est à l'origine de son préjudice, et non le dysfonctionnement de la pompe à chaleur, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure le préjudice subi par cette société du fait desdits dysfonctionnements, distinct de son préjudice économique, en violation de l'article 1792-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

6. Il résulte de ce texte que l'acquéreur auquel a été transmise l'action en garantie décennale attachée à l'ouvrage est en droit d'obtenir la réparation intégrale du préjudice causé par les dommages dont les constructeurs peuvent être tenus responsables sur ce fondement, quel que soit le prix de la cession.

7. L'arrêt retient que les dysfonctionnements de la pompe à chaleur, dont l'expert avait conclu qu'ils nécessitaient le remplacement de ce matériel, caractérisaient une impropriété de la serre à sa destination et engageaient de plein droit la responsabilité de la société Coria.

8. Pour rejeter la demande d'indemnité formée par la SCEA au titre du coût du remplacement de la pompe à chaleur défectueuse, l'arrêt retient, d'une part, que dans l'acte de vente des serres et du matériel à cette société les matériels de l'exploitation, dont la pompe à chaleur, ont été valorisés à la somme de 4 999 euros et que la somme de 92 560 euros représentant le coût de remplacement de la pompe à chaleur reviendrait à enrichir la liquidation judiciaire de la SCEA.

9. Il retient, d'autre part, que la SCEA a, en tout état de cause, pris un risque en lançant la production de roses en toute connaissance de cause du non-fonctionnement de la pompe à chaleur et de ce qu'elle ne disposait pas de la trésorerie pour acheter du fioul. Il en déduit que c'est cette prise de risque qui est à l'origine du préjudice allégué et non les dysfonctionnements de la pompe à chaleur.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure le droit à indemnisation de la SCEA au titre du remplacement du matériel défectueux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

11. La société Fides, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCEA, fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 3°/ que les garanties attachées à la chose vendue sont transmises au cessionnaire, quel que soit le prix de cession ; qu'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de Me [E] et de la société Axa Corporate Solutions, que lui allouer la somme de 92 560 euros, représentant le coût de remplacement de la pompe à chaleur, reviendrait à enrichir le patrimoine de la liquidation judiciaire de la SCEA APS Cleusmeur qui avait acquis ladite pompe le 9 août 2011 au prix de 4 999 euros dans le cadre de la liquidation judiciaire de son précédent propriétaire, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil ;

4°/ qu'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de Me [E] et de la société Axa Corporate Solutions, que c'est la prise de risques de la société APS Cleusmeur - laquelle a lancé une production de roses au printemps 2012 alors qu'elle avait connaissance tant du non-fonctionnement de la pompe à chaleur que du fait qu'elle ne disposait pas d'une trésorerie lui permettant d'acheter du fuel - qui est à l'origine de son préjudice, et non le dysfonctionnement de la pompe à chaleur, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure le préjudice subi par cette société du fait desdits dysfonctionnements, distinct de son préjudice économique, en violation de l'article 1641 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1641, 1644 et 1645 du code civil :

12. Il résulte de ces textes que le sous-acquéreur, auquel a été transmise l'action en garantie des vices cachés attachée à la chose vendue, est en droit d'obtenir du vendeur initial, quel que soit le prix de la cession, la restitution de tout ou partie du prix de vente et, si ce vendeur connaissait le vice, tous dommages-intérêts.

13. L'arrêt retient que les désordres ont pour cause un défaut de fabrication de la pompe à chaleur, qui engage la responsabilité de la société Airwell sur le fondement de la garantie des vices cachés.

14. Pour rejeter la demande d'indemnité formée subsidiairement par la SCEA sur le fondement des articles 1644 et 1645 du code civil au titre du coût du remplacement de la pompe à chaleur défectueuse, l'arrêt retient, d'une part, que dans l'acte de vente des serres et du matériel à cette société les matériels de l'exploitation, dont la pompe à chaleur, ont été valorisés à la somme de 4 999 euros et que la somme de 92 560 euros représentant le coût de remplacement de la pompe à chaleur reviendrait à enrichir la liquidation judiciaire de la SCEA.

15. Il retient, d'autre part, que la SCEA a, en tout état de cause, pris un risque en lançant la production de roses en toute connaissance de cause du non-fonctionnement de la pompe à chaleur et de ce qu'elle ne disposait pas de la trésorerie pour acheter du fioul. Il en déduit que c'est cette prise de risque qui est à l'origine du préjudice allégué et non les dysfonctionnements de la pompe à chaleur.

16. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure le droit à indemnisation de la SCEA au titre du remplacement du matériel défectueux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

17. La portée de la cassation est limitée au rejet de la demande de paiement de la somme de 217 624,16 euros formée au titre du préjudice matériel de la SCEA, seul visé par le moyen. Mise hors de cause

18. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Aviva, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de paiement de la somme de 217 624,16 euros formée par le liquidateur judiciaire de la SCEA APS Cleusmeur contre les sociétés Coria, la liquidation judiciaire de la société Airwell France et la société Axa Corporate Solutions, l'arrêt rendu le 4 mars 2021 entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;

Met hors de cause la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et santé ;

Condamne la société Coopérative de réalisations industrielles et agricoles, M. [E], pris en sa qualité de liquidateur de la société Airwell France, et la société XL Insurance Company SE aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Coopérative de réalisations industrielles et agricoles et XL Insurance Company SE à payer à la société Fides, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SCEA APS Cleusmeur, la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour la société Fides

La société Fides ès qualités reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes indemnitaires à l'encontre de la société Coria, de la liquidation judiciaire de la société Airwell France et de la société Axa Corporate Solutions ;

1°) ALORS QUE l'action en responsabilité décennale est un accessoire de l'élément d'équipement d'un ouvrage, quel que soit le prix de cession de cet élément d'équipement ; qu'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de la société Coria, que lui allouer la somme de 92 560 euros, représentant le coût de remplacement de la pompe à chaleur, reviendrait à enrichir le patrimoine de la liquidation judiciaire de la SCEA APS Cleusmeur qui avait acquis ladite pompe le 9 août 2011 au prix de 4 999 euros dans le cadre de la liquidation judiciaire de son précédent propriétaire, la cour d'appel a violé l'article 1792-2 du code civil ;

2°) ALORS QU'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de la société Coria, que c'est la prise de risques de la société APS Cleusmeur - laquelle a lancé une production de roses au printemps 2012 alors qu'elle avait connaissance tant du non-fonctionnement de la pompe à chaleur que du fait qu'elle ne disposait pas d'une trésorerie lui permettant d'acheter du fuel - qui est à l'origine de son préjudice, et non le dysfonctionnement de la pompe à chaleur, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure le préjudice subi par cette société du fait desdits dysfonctionnements, distinct de son préjudice économique, en violation de l'article 1792-2 du code civil ;

3°) ALORS QUE les garanties attachées à la chose vendue sont transmises au cessionnaire, quel que soit le prix de cession ; qu'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de Me [E] et de la société Axa Corporate Solutions, que lui allouer la somme de 92 560 euros, représentant le coût de remplacement de la pompe à chaleur, reviendrait à enrichir le patrimoine de la liquidation judiciaire de la SCEA APS Cleusmeur qui avait acquis ladite pompe le 9 août 2011 au prix de 4 999 euros dans le cadre de la liquidation judiciaire de son précédent propriétaire, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil ;

4°) ALORS QU'en retenant, pour débouter la société Fides ès qualités de ses demandes indemnitaires à l'égard de Me [E] et de la société Axa Corporate Solutions, que c'est la prise de risques de la société APS Cleusmeur - laquelle a lancé une production de roses au printemps 2012 alors qu'elle avait connaissance tant du non-fonctionnement de la pompe à chaleur que du fait qu'elle ne disposait pas d'une trésorerie lui permettant d'acheter du fuel - qui est à l'origine de son préjudice, et non le dysfonctionnement de la pompe à chaleur, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure le préjudice subi par cette société du fait desdits dysfonctionnements, distinct de son préjudice économique, en violation de l'article 1641 du code civil."

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