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Enclave et responsabilité de l'avocat

L'avocat n'a pas à renseigner son client sur l'existence de données de fait dont celui-ci a connaissance : cela vaut pour un état d'enclave.

"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 16 juin 2016), que la société C... (la société), qui exerce une activité de marchand de biens, a donné mandat à la SCP Grimaud-Pastaud (l'avocat) aux fins de porter des enchères à la barre du tribunal de grande instance de Limoges, à l'occasion de la vente sur saisie immobilière d'un bien appartenant à M. Y...; que ce bien enclavé était desservi par un chemin situé sur une parcelle contiguë appartenant en indivision à M. Y...et à M. et Mme Z...; que, par arrêt de la cour d'appel de Limoges devant laquelle la société était assistée par l'avocat, l'assiette de la servitude de passage a été fixée et une indemnité accordée à M. et Mme Z...; que, postérieurement, la société a acquis les droits de la liquidation judiciaire de M. Y...sur le fonds servant ; que la société a assigné l'avocat en responsabilité civile professionnelle et indemnisation

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 

1°/ que l'avocat n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les connaissances de son client ; que la cour d'appel, pour écarter la responsabilité de l'avocat, à laquelle il était reproché de n'avoir pas informé la société sur le caractère enclavé de la parcelle dont elle s'apprêtait à faire l'acquisition, a retenu que celle-ci avait, en raison de l'implantation géographique de ses locaux, une « très bonne connaissance de la situation des lieux sur lesquels la parcelle était implantée » ; que la cour d'appel, qui a ainsi déchargé l'avocat de son obligation de conseil en raison des connaissances supposées de sa cliente, a violé l'article 1147 du code civil ; 

2°/ que l'avocat n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences de son client ; que la cour d'appel, pour écarter toute responsabilité de l'avocat, a retenu qu'il appartenait à la société, en sa qualité de « professionnel envisageant l'édification de cinq maisons d'habitation sur une parcelle dont l'accès ne pouvait être assuré que par un chemin bordé de part et d'autre d'immeubles bâtis (…), de s'enquérir du mode de desserte du bien dont elle entendait se porter adjudicataire, alors même qu'une simple consultation du plan cadastral permet (tait) de constater que la parcelle cadastrée numéro 273 ne disposait pas d'un accès direct à la voie publique » ; que la cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur les compétences de la société pour juger qu'elle ne pouvait reprocher à son avocat de ne pas lui avoir délivré l'information litigieuse, a violé l'article 1147 du code civil ; 

3°/ que le motif hypothétique équivaut à un défaut de motif ; que la cour d'appel, en indiquant que M. et Mme Z...auraient « vraisemblablement » exercé leur droit de préemption si les droits de M. Y...sur la parcelle AB 275 avaient été mis en vente dès l'origine, pour en déduire que le préjudice causé par la faute de l'avocat n'était pas établi, a statué par un motif hypothétique et violé l'article 455 du code de procédure civile ; 

4°/ que la réparation du préjudice lié à la perte d'une chance suppose de déterminer la probabilité qu'aurait eue la victime d'éviter ou de diminuer le dommage sans la faute du défendeur ; que, pour écarter toute responsabilité de l'avocat auquel il était reproché de n'avoir pas appelé le liquidateur de M. Y...dans l'instance relative au désenclavement de la parcelle acquise et de ne pas avoir conseillé, dès l'origine, à sa cliente de se porter acquéreur des droits indivis dont disposait M. Y...sur la parcelle permettant d'y accéder, la cour d'appel a retenu que si tel avait été le cas, M. et Mme Z...auraient « vraisemblablement » exercé leur droit de préemption, ce dont elle a déduit que la preuve du préjudice subi n'était pas rapportée ; que la cour d'appel, en écartant ainsi l'existence du préjudice lié à la perte d'une chance dont la société demandait réparation, lorsqu'elle avait relevé une simple probabilité que le dommage n'eût pas été évité sans la faute de l'avocat, n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et violé l'article 1147 du code civil ; 

Mais attendu, en premier lieu, que l'avocat n'a pas à renseigner son client sur l'existence de données de fait dont celui-ci a connaissance ; que la cour d'appel a relevé que la société qui, en sa qualité de marchand de biens, envisageait d'édifier des maisons d'habitation sur le terrain acquis, disposait d'un siège social à proximité de celui-ci et possédait deux parcelles le jouxtant ; qu'elle a pu en déduire que la société n'ignorait pas le fait, purement matériel, que constituait l'enclavement du bien, lequel était visible à la simple consultation du plan cadastral ; 

Et attendu, en second lieu, qu'après avoir exactement énoncé que M. et Mme Z...disposaient d'un droit de préemption en cas de vente des droits indivis de la liquidation judiciaire de M. Y...sur le fonds servant, et examiné la probabilité pour eux d'exercer ce droit, la cour d'appel a souverainement estimé que cette probabilité était telle que la perte de chance était inexistante et, sans se fonder sur un motif hypothétique, que la société ne rapportait pas la preuve de son préjudice ; 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ; 

PAR CES MOTIFS : 

REJETTE le pourvoi ; 

Condamne la société C... aux dépens ; 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six septembre deux mille dix-sept. 
MOYEN ANNEXE au présent arrêt 

Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société C.... 

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société C... de sa demande tendant à obtenir la condamnation de la SCP Grimaud-Pastaud à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ; 

AUX MOTIFS QU'en application de l'article 1147 du Code civil, « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part » ; que selon l'article 413 du code de procédure civile, le mandat de représentation emporte, sauf convention contraire, mission d'assistance ; que la responsabilité professionnelle de l'avocat peut être retenue si la preuve est rapportée d'une faute dans l'exercice de la mission qui lui a été confiée, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux ; que l'étendue de sa mission d'information doit toutefois être déterminée à l'aune des circonstances particulières de l'espèce et notamment de la qualité de son client et des éléments d'information dont celui-ci dispose ; qu'en l'espèce, il est constant que la société C..., qui exerce l'activité principale de marchand de biens, a chargé la SCP Grimaud-Pastaud de porter des enchères en son nom à l'audience du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Limoges, de sorte que cette société a été déclarée adjudicataire le 24 janvier 2006 de l'immeuble situé ...cadastré section AB numéro 273 sur la commune de SAINT-JUNIEN (87) ; que la cour observe, à cet égard, que le siège de la société C... se trouve au « ...», alors que la parcelle ayant fait l'objet de la saisie immobilière est située au ..., c'est-à-dire à quelques dizaines de mètres ; qu'il doit en être déduit que la société intimée avait nécessairement une très bonne connaissance de la situation des lieux sur lesquels la parcelle était implantée, ce d'autant plus qu'il résulte des pièces du dossier que la SCI des Deux Ponts – dont le gérant est M. C..., également gérant de la société intimée – est propriétaire des parcelles cadastrées section AB n° 577 et 576 jouxtant immédiatement la parcelle n° 273 selon l'extrait de plan cadastral produit aux débats ; par ailleurs, qu'il appartenait à la société C...-professionnel envisageant l'édification de cinq 
maisons d'habitation sur une parcelle dont l'accès ne pouvait être assuré que par un chemin bordé de part et d'autre d'immeubles bâtis (annexe 3 du rapport d'expertise de Monsieur A...en date du 21 décembre 2009)- de s'enquérir du mode de desserte du bien dont elle entendait se porter adjudicataire, alors même qu'une simple consultation du plan cadastral permet de constater que la parcelle cadastrée numéro 273 ne dispose pas d'un accès direct à la voie publique ; qu'il apparaît dès lors que la société C... ne peut utilement reprocher à la SCP appelante de ne pas lui avoir délivré une information qu'elle ne pouvait, ainsi, ignorer ; par ailleurs, que la société C... fait grief à la SCP Grimaud-Pastaud de ne pas avoir appelé le liquidateur de Monsieur B...dans l'instance relative au désenclavement de la parcelle et de ne pas lui avoir conseillé de proposer à celui-ci de se porter acquéreur des droits indivis dont il disposait sur la parcelle cadastrée section AB 275 permettant l'accès à la parcelle ayant fait l'objet de la procédure de saisie immobilière ; qu'il apparaît en tout état de cause que si tel avait été le cas, les époux Z...-propriétaires indivis à concurrence des 2/ 3 de la parcelle AB 275- auraient bénéficié, en application des articles 815-14 alinéa premier et 815-15 du Code civil, d'un droit de préemption s'agissant d'une cession à titre onéreux à une personne étrangère à l'indivision ; qu'eu égard à l'hostilité des époux Z...à tout passage sur cette parcelle-ainsi que cela résulte de leurs écritures déposées devant le tribunal puis la cour d'appel de Limoges (pièces 8 et 9 du dossier de l'intimée)-, l'exercice d'un tel droit de leur part apparaît très vraisemblable ; qu'il n'apparaît à cet égard pas pertinent de relever que ces derniers n'ont pas souhaité faire jouer leur droit de préemption lors de la cession du 31 mai 2012 par laquelle la société C... a fait l'acquisition des droits de Monsieur B...sur la parcelle AB 275 puisque, à cette date, le principe du droit de passage-et leur indemnisation corrélative à concurrence de 50. 000 €- avait été reconnu ; qu'il doit en être déduit que la preuve d'un préjudice que l'intimée aurait subi en raison du manquement de son ancien avocat à appeler le liquidateur de Monsieur B...dans l'instance liée au désenclavement de la parcelle ou à proposer à celui-ci de se porter acquéreur des droits indivis n'est pas rapportée ; 

1°/ ALORS QUE l'avocat n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les connaissances de son client ; que la cour d'appel, pour écarter la responsabilité de la SCP Grimaud-Pastaud, à laquelle il était reproché de n'avoir pas informé la société C... sur le caractère enclavé de la parcelle dont elle s'apprêtait à faire l'acquisition, a retenu que celle-ci avait, en raison de l'implantation géographique de ses locaux, une « très bonne connaissance de la situation des lieux sur lesquels la parcelle était implantée » ; que la cour d'appel, qui a ainsi déchargé l'avocat de son obligation de conseil en raison des connaissances supposées de sa cliente, a violé l'article 1147 du code civil ; 

2°/ ALORS QUE l'avocat n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences de son client ; que la cour d'appel, pour écarter toute responsabilité de la SCP Grimaud-Pastaud, a retenu qu'il appartenait à la société C..., en sa qualité de « professionnel envisageant l'édification de cinq maisons d'habitation sur une parcelle dont l'accès ne pouvait être assuré que par un chemin bordé de part et d'autre d'immeubles bâtis (…), de s'enquérir du mode de desserte du bien dont elle entendait se porter adjudicataire, alors même qu'une simple consultation du plan cadastral permet (tait) de constater que la parcelle cadastrée numéro 273 ne dispos (ait) pas d'un accès direct à la voie publique » ; que la cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur les compétences de la SARL C... pour juger qu'elle ne pouvait reprocher à son avocat de ne pas lui avoir délivré l'information litigieuse, a violé l'article 1147 du code civil ; 

3°/ ALORS QUE le motif hypothétique équivaut à un défaut de motif ; que la cour d'appel, en indiquant que les époux Z...auraient « vraisemblablement » exercé leur droit de préemption si les droits de M. Y...sur la parcelle AB 275 avaient été mis en vente dès l'origine, pour en déduire que le préjudice causé par la faute de l'avocat n'était pas établi, a statué par un motif hypothétique et violé l'article 455 du code de procédure civile. 

4°/ ALORS QUE, subsidiairement, la réparation du préjudice lié à la perte d'une chance suppose de déterminer la probabilité qu'aurait eue la victime d'éviter ou de diminuer le dommage sans la faute du défendeur ; que, pour écarter toute responsabilité de l'avocat auquel il était reproché de n'avoir pas appelé le liquidateur de Monsieur B...dans l'instance relative au désenclavement de la parcelle acquise et de ne pas avoir conseillé, dès l'origine, à sa cliente de se porter acquéreur des droits indivis dont disposait M. B...sur la parcelle permettant d'y accéder, la cour d'appel a retenu que si tel avait été le cas, les époux Z...auraient « vraisemblablement » exercé leur droit de préemption, ce dont elle a déduit que la preuve du préjudice subi n'était pas rapportée ; que la cour d'appel, en écartant ainsi l'existence du préjudice lié à la perte d'une chance dont la société C... demandait réparation, lorsqu'elle avait relevé une simple probabilité que le dommage n'eût pas été évité sans la faute de l'avocat, n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et violé l'article 1147 du code civil."

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