Obligation d'information sur les risques liés à l'achat d'un bien immobilier entrant dans un programme de défiscalisation (mardi, 23 mai 2023)

Cet arrêt juge qu'il incombe au vendeur tenu d'informer l'investisseur même averti, des risques liés à l'achat d'un bien immobilier entrant dans un programme de défiscalisation, de justifier qu'il a exécuté cette obligation, sans s'être tu sur ceux qui y sont associés.

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"Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 septembre 2021), rendu sur renvoi après cassation ( 3e Civ., 24 septembre 2020, pourvoi n° 19-18.637), le 21 septembre 2009, après avoir signé un contrat de réservation, M. [O] (l'investisseur) a, sur les conseils de la société Global patrimoine investissement, dans le cadre d'une opération de défiscalisation, acquis un appartement dans une résidence de tourisme, vendu par son promoteur, la société [Adresse 7] (le promoteur-vendeur) et commercialisé par la société Actifs et associés. L'investisseur a consenti concomitamment, comme le prévoyait l'opération, un bail commercial d'une durée minimale de onze ans, à la société Cap Sensoria (la locataire).

2.Le 29 novembre 2010, la locataire a été placée en redressement judiciaire. L'exploitation de la résidence a alors été interrompue, puis, reprise par une autre société, moyennant une baisse des loyers.

3. Estimant, d'une part, avoir été victime de manoeuvres dolosives de la part du promoteur-vendeur, de la société qui a commercialisé le bien et de la société de conseil en patrimoine, d'autre part, que ces dernières sociétés avaient manqué à leur devoir d'information et de conseil, l'investisseur les a assignés en indemnisation de ses préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche Enoncé du moyen

4. L'investisseur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre le promoteur-vendeur, alors « qu'une fausse information, garantissant la rentabilité d'un investissement immobilier défiscalisé, qui est déterminante du consentement de l'investisseur privé, caractérise le dol ; qu'en l'espèce l'arrêt attaqué constate que la plaquette de présentation garantissait la rentabilité de l'investissement et relève que «la rentabilité du projet, pris dans son ensemble comportant un bail commercial lequel comporte nécessairement un aléa » ; qu'en excluant néanmoins qu'une fausse information constitutive d'un dol ait déterminé le consentement de M. [O], investisseur, l'arrêt attaqué n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations de fait en violation des articles 1116 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1116 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. Il résulte de la combinaison de ces deux textes qu‘il incombe au vendeur tenu d'informer l'investisseur même averti, des risques liés à l'achat d'un bien immobilier entrant dans un programme de défiscalisation, de justifier qu'il a exécuté cette obligation, sans s'être tu sur ceux qui y sont associés.

6. Pour rejeter les demandes formées contre le promoteur-vendeur, l'arrêt retient que les mentions portées sur la plaquette commerciale ou sur le contrat de réservation ne garantissent pas un quantum de rentabilité de l'opération, ni la pérennité du preneur commercial, mais uniquement la rentabilité du projet, pris dans son ensemble.

7. Il ajoute que le bail commercial, compris dans ce projet, comporte nécessairement un aléa que l'investisseur, qui, exerçant la profession d'actuaire, était en mesure d'appréhender, et que celui-ci ne démontre pas que le vendeur connaissait la situation obérée de la société devenue locataire.

8. En statuant ainsi, sans relever que le promoteur-vendeur avait donné à l'investisseur une information sur l'existence de risques inhérents à l'opération projetée dont la rentabilité était annoncée comme garantie, la cour d'appel, a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche Enoncé du moyen

9. L'investisseur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes dirigées contre, les sociétés Global patrimoine investissement et Actifs et associés, alors « que le conseil en gestion de patrimoine intervenant comme intermédiaire dans une opération de défiscalisation est tenu à l'égard de son client d'une obligation de conseil et d'information sur les risques et aléas de l'opération proposée ; qu'en se prononçant par des motifs impropres à démontrer que M. [O], qui le contestait, avait été pleinement informé par les sociétés Actifs et associés et Global patrimoine investissement des risques pouvant découler du défaut de réalisation des conditions auxquelles était subordonné le succès de l'opération de défiscalisation et notamment des conséquences d'une vacance locative du lot acquis ou d'une diminution du loyer commercial initialement convenu, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1147 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

10. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

11. Pour rejeter les demandes dirigées contre la société Global patrimoine investissement et la société Actifs et associés, l'arrêt retient que le lien causal, entre le défaut d'information sur les aléas de l'investissement tels que la possible défaillance de l'exploitant et la diminution des loyers perçus auprès d'un second locataire, n'est pas établi, dans la mesure où rien ne permet de supposer que l'investisseur n'aurait pas souscrit l'engagement pris s'il avait reçu cette information et alors qu'invoquant la tromperie dont il se dit victime concernant la bonne situation financière de la société locataire, il s'en déduit que celui-ci avait conscience de l'aléa, que sa profession d'actuaire en fait un spécialiste du risque et qu'il est aisé de comprendre qu'un montage de défiscalisation comporte un risque lié à la conclusion d'un bail.

12. En se déterminant ainsi par des motifs qui ne caractérisent pas que les sociétés qui sont intervenues dans la réalisation de l'opération globale de défiscalisation, aient dispensé à l'investisseur, une quelconque information, même adaptée à son degré de connaissance et à sa situation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne les sociétés [Adresse 7], Actifs et associés et [V]-[J], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Global patrimoine investissement, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [Adresse 7] et la condamne in solidum avec la société [V]-[J], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Global patrimoine investissement, et la société Actifs et associés, à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros .

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [O]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [O] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes dirigées contre la SNC [Adresse 7], la société Actifs et Associés et la société Global Patrimoine Investissement en dommages et intérêts à raison du dol et du manquement à leurs devoirs d'information et de conseil lors de son acquisition d'un appartement dans le cadre d'un investissement défiscalisé ;

1°) ALORS QU'une fausse information, garantissant la rentabilité d'un investissement immobilier défiscalisé, qui est déterminante du consentement de l'investisseur privé, caractérise le dol ; qu'en l'espèce l'arrêt attaqué constate que la plaquette de présentation garantissait la rentabilité de l'investissement et relève que « la rentabilité du projet, pris dans son ensemble comportant un bail commercial lequel comporte nécessairement un aléa » ; qu'en excluant néanmoins qu'une fausse information constitutive d'un dol ait déterminé le consentement de M. [O], investisseur, l'arrêt attaqué n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations de fait en violation des articles 116 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS QUE la société [Adresse 7] relevait elle-même dans ses conclusions d'appel que le paiement des loyers avait cessé en septembre 2010 pour le troisième trimestre et n'avait repris qu'en septembre 2011 (conclusions p. 22) tandis que M. [O] n'avait pas souscrit d'assurance loyers impayés (conclusions p. 14), qu'elle admettait aussi que le nouveau loyer avait baissé de 19,14 ù sur le loyer HT (conclusions p. 19) ; que dès lors en affirmant pour exclure l'existence d'un préjudice, que M. [O] ne justifiait pas à partir de quand le loyer ne lui a plus été payé par la société Cap Sensoria et de renseigner le montant du nouveau loyer convenu avec la société Châteauform, la Cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QU'en retenant que M. [O] n'établissait pas le manque de rentabilité par rapport au gain escompté dès lors qu'il ne remettait pas en question les avantages fiscaux dont il avait bénéficié sans répondre à ses conclusions d'appel qui faisaient valoir que l'atout du montage, qui lui avait été proposé avec une garantie de rentabilité, résidait, grâce à la perception du montant des loyers versés par la société Cap Sensoria, outre dans la réduction d'impôt, dans l'autofinancement des mensualités de l'emprunt immobilier contracté, ce qui n'avait pas été le cas, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [O] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de l'intégralité de ses prétentions dirigées contre la SNC [Adresse 7], la société Actifs et Associés et la société Global Patrimoine Investissement ;

1°) ALORS QUE les intermédiaires dans une opération de défiscalisation sont tenus à l'égard de leurs clients d'une obligation de conseil et d'information sur les risques et aléas de l'opération proposée ; qu'en se prononçant par des motifs impropres à exclure la faute commise par les sociétés Actifs et Associés et Global Patrimoine investissement pour manquement à leurs obligations de conseil et d'information sur les aléas inhérents à l'investissement proposé et à exclure l'existence de l'ensemble des chefs de préjudice en résultant pour M. [O], la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°) ALORS la société [Adresse 7] relevait elle-même dans ses conclusions d'appel que le paiement des loyers avait cessé en septembre 2010 pour le troisième trimestre et n'avait repris qu'en septembre 2011 (conclusions p. 22) tandis que M. [O] n'avait pas souscrit d'assurance loyers impayés (conclusions p. 14), qu'elle admettait aussi que le nouveau loyer avait baissé de 19,14 %)^ppp=^0 sur le loyer HT (conclusions p. 19) ; que dès lors en affirmant pour exclure l'existence d'un préjudice, que M. [O] ne justifiait pas à partir de quand le loyer ne lui a plus été payé par la société Cap Sensoria et de renseigner le montant du nouveau loyer convenu avec la société [Adresse 6], la Cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile."