Tout savoir sur la servitude de tour d'échelle ! (mardi, 05 octobre 2021)

Cet arrêt de la Cour d'Appel de Lyon rappelle les règles applicables à la servitude de tour d'échelle :

Le tour d’échelle n’est pas une servitude légale ; aucun texte du code civil n’en prévoit l’existence ni n’en organise les modalités.

Il peut être défini comme le droit de poser une échelle sur la propriété d’autrui pour construire ou réparer un mur non mitoyen contigu au fonds servant et, par extension, l’autorisation judiciaire ponctuelle et provisoire de réaliser de tels travaux, lorsque le propriétaire du mur ou du bâtiment ne peut y accéder de chez lui.

L’autorisation de tour d’échelle est temporaire et provisoire et ne peut être octroyée qu’aux conditions suivantes :

— la nécessité de réaliser les travaux doit être caractérisée ;

— la réalisation des travaux à partir du fonds du propriétaire requérant doit être

impossible même au prix d’un coût plus onéreux ;

— les travaux envisagés ne doivent pas causer au fonds voisin un préjudice excessif ou disproportionné et les éventuels dommages engendrés par eux doivent donner lieu à une indemnisation.

Cette autorisation est destinée à permettre l’entretien et la réparation de constructions existantes. Toutefois, elle doit également s’appliquer à une construction nouvelle sous réserve du respect des règles rappelées ci-dessus.

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« La SCI Z F a fait édifier en 2017 à Saint Genis Laval une maison d’habitation, adossé à un mur ancien qui lui appartient et la sépare de la propriété voisine qui appartient aux époux Y.

La SCI Z F n’a pu faire réaliser les travaux nécessitant d’accéder à la propriété Y, à savoir le crépissage de la façade nord de la maison, la pose d’un cheneau d’évacuation des eaux de pluie et des travaux de zinguerie sur le mur auquel est adossée sa maison.

Un constat d’accord a été conclu entre les parties devant le conciliateur de Saint Genis Laval, mais il n’a pas été exécuté.

Par acte d’huissier du 3 décembre 2019, la SCI Z F a fait assigner devant le président du tribunal de grande instance de Lyon statuant en référé M. et Mme Y afin d’être autorisée à pénétrer dans leur propriété pour procéder à des travaux d’arasement du mur, de pose d’un abergement et d’un caniveau sur ce mur avec une retombée verticale, d’installation d’une descente verticale d’environ 3,50 m de hauteur sur la façade nord de la maison, de pose d’un crépi sur cette façade, le tout sous astreinte.

Elle s’engageait à faire réaliser à ses frais un constat d’huissier avant et après les travaux, à prévenir les époux Y de la date de début des travaux une semaine à l’avance, à demander aux entreprises de cantonner leurs interventions du lundi au vendredi entre 8 et 18 heures, à interdire de déposer sur la propriété Y du matériel autre que strictement nécessaire et à faire procéder à la remise en état intégrale de la parcelle Y en fin de chantier.

Par ordonnance du 30 mars 2020, le juge des référés a :

— fait droit à la demande, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée par huissier de justice, passé le délai de 15 jours de la signification de la décision,

— condamné la SCI Z F à payer à M. et Mme Y une indemnité provisionnelle de 1000 euros en réparation du préjudice de jouissance occasionné et

— condamné solidairement M. et Mme Y à payer à la SCI Z F une indemnité de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Cette ordonnance a été signifiée à M. et Mme Y le 27 avril. Ceux-ci en ont relevé appel par déclaration enregistrée le 12 mai 2020. Ils ont signifié leur déclaration d’appel à la SCI Z A par acte d’huissier du 4 juin 2020 remis en étude.

Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 30 septembre 2020, les époux Y demandent à la cour de débouter la SCI Z F de toutes ses demandes.

A titre subsidiaire, ils sollicitent sa condamnation à leur payer la somme provisionnelle de 300 euros par jour, et ce à compter du premier jour des travaux et jusqu’à la constatation de la fin des travaux par l’huissier de justice mandaté à cet effet.

En tout état de cause, ils réclament la condamnation de la SCI Z F à leur payer la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d’appel.

Ils font valoir que la servitude de tour d’échelle dont leurs voisins souhaitent faire usage ne s’applique qu’aux travaux d’entretien et non aux travaux liés à une construction, que les pièces produites ne prouvent ni le caractère nécessaire des travaux ni l’impossibilité pour la SCI de les effectuer autrement qu’en passant chez eux. Ils font observer que la SCI Z F refuse d’inverser le sens d’écoulement des eaux de façon que les chéneaux passent ailleurs, pour des raisons esthétiques qui ne sont pas justifiées.

Ils se prévalent des conclusions d’un expert du bâtiment qu’ils ont missionné.

Ils soutiennent que l’arasement du mur séparatif est dû à une erreur du maître d’oeuvre des époux Z-F qui n’a pas pris toutes les précautions nécessaires pour exécuter les travaux autrement, d’autant que le réseau d’évacuation des eaux existait avant l’édification de la maison.

A titre subsidiaire, ils demandent que leur préjudice lié à l’exécution des travaux soit porté à 300 euros par jour et réclament 3000 euros d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 juillet 2020, la SCI Z F a formé appel incident et au fond, par conclusions notifiées le 6 octobre 2020, elle sollicite la confirmation de l’ordonnance et demande que l’astreinte soit portée à 300 euros par infraction constatée, que les époux Y soient déboutés de leur demande de provision au titre de leur trouble de jouissance qui se heurte à une contestation sérieuse, subsidiairement, conclut à sa réduction à 5 euros par jour, et demande que les époux Y soient condamnés à lui verser 5000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et une somme identique en apllication de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle dit prouver que les travaux ne peuvent être réalisés qu’en passant sur le terrain de ses voisins et affirme que les solutions proposées par l’expert privé des époux Y ne sont pas réalisables, sa première solution étant au surplus particulièrement onéreuse. Elle soutient que l’arasement du mur, auquel les époux Y s’opposent est nécessaire pour la pose d’un abergement afin de protéger sa maison et pour créer la pente nécessaire à l’évacuation des eaux pluviales.

Elle ajoute que la servitude de tour d’échelle permet la réalisation de travaux liés à la construction d’un immeuble sous réserve qu’elle ne soit utilisée que pour les finitions, ce qui est le cas en l’espèce,

et qu’elle n’apporte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de ses voisins.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture est en date du 7 octobre 2020.

MOTIVATION

La SCI Z F a procédé à l’extension et à la surélévation d’un bâtiment existant qui est adossé à un mur séparant son fonds de celui des époux Y. Cette extension, portant la hauteur du bâtiment a plus de 8 mètres, a eu pour conséquence de modifier défavorablement l’environnement de M. et Mme Y.

Il résulte des pièces produites par les parties que M. et Mme Y ne se sont pas opposés à la réalisation du crépi du mur nord de la maison de leurs voisins, situé contre leur fonds, ni à la pose d’une conduite d’évacuation des eaux pluviales sur le mur. Les parties ont conclu un accord sur le déroulement de ces travaux devant le conciliateur de justice, le 21 novembre 2017.

Toutefois, les époux Y s’opposent à l’arasement du mur qui borde le pignon nord de la maison. Selon la SCI Z-F, cet arasement en pente a pour objet d’accueillir un chéneau conduisant les eaux pluviales au niveau du terrain et de raccorder le dispositif au puits perdu du jardin situé côté est de la propriété de la SCI. Ce chêneau serait invisible depuis la propriété des époux Y.

Les époux Y se prévalent d’une expertise privée qui indique que l’arasement rendra le mur très disgracieux et qui propose trois solutions :

— la première solution consiste dans l’implantation de la conduite à l’intérieur de la maison. L’expert privé indique qu’il ne peut la confirmer dans la mesure où il ne connaît pas les plans du bâtiment de la SCI Z F.

— la deuxième solution consiste dans l’implantation d’un chéneau en pente fixé au pignon nord et situé au-dessus du mur bordant la propriété qui ne serait alors pas arasé.

— la troisième solution exige un changement du sens de la pente de la gouttière posée sur la façade est, et l’enfouissement de la canalisation pour la raccorder au regard, sous réserve, dit l’expert privé, que les travaux n’empiètent pas sur le domaine public.

Le maître d’oeuvre des époux A répond que :

— la première solution, outre qu’elle serait très onéreuse, consisterait à faire passer le tuyau d’évacuation dans la cuisine de la SCI, ce qui entraînerait outre le déplacement des ouvrages de plomberie et des meubles, des risques techniques majeurs.

— la deuxième solution, initialement envisagée par la SCI, ne permet pas de satisfaire

les époux Y qui trouvaient inesthétique la présence d’une canalisation sur le mur visible depuis leur propriété.

— la troisième solution ne résout pas le problème de l’évacuation des eaux de l’angle sud-ouest du toit, qui est situé plus bas que l’angle est.

L’expert privé mandaté par la SCI Z-F conclut ainsi ses travaux : « sous réserve de

faisabilité, la première solution serait à retenir, sinon la plus certaine serait la deuxième. » La 'faisabilité’ de la première solution n’étant pas démontrée, de même que celle de la troisième, il y a lieu de constater que les époux Y ne proposent qu’une seule solution alternative, et ce dans le but que le mur ne soit pas modifié.

Le tour d’échelle n’est pas une servitude légale ; aucun texte du code civil n’en prévoit l’existence ni n’en organise les modalités.

Il peut être défini comme le droit de poser une échelle sur la propriété d’autrui pour construire ou réparer un mur non mitoyen contigu au fonds servant et, par extension, l’autorisation judiciaire ponctuelle et provisoire de réaliser de tels travaux, lorsque le propriétaire du mur ou du bâtiment ne peut y accéder de chez lui.

L’autorisation de tour d’échelle est temporaire et provisoire et ne peut être octroyée qu’aux conditions suivantes :

— la nécessité de réaliser les travaux doit être caractérisée ;

— la réalisation des travaux à partir du fonds du propriétaire requérant doit être

impossible même au prix d’un coût plus onéreux ;

— les travaux envisagés ne doivent pas causer au fonds voisin un préjudice excessif ou disproportionné et les éventuels dommages engendrés par eux doivent donner lieu à une indemnisation.

Cette autorisation est destinée à permettre l’entretien et la réparation de constructions existantes. Toutefois, elle doit également s’appliquer à une construction nouvelle sous réserve du respect des règles rappelées ci-dessus.

En l’espèce, l’implantation du bâtiment initial agrandi et rénové par la SCI Z-F se trouve en limite de propriété. Le terrain de la SCI est bordé sur deux côtés par des murs et un terrain appartenant à la commune de Saint Genis Laval et sur le troisième côté par la propriété Y.

Le maître d’oeuvre de la SCI atteste que l’utilisation d’une nacelle n’est pas envisageable dans la mesure où la distance qui sépare l’emplacement où il est possible de stationner le véhicule du point plus éloigné de la façade est telle que ce procédé aurait un coût exorbitant au regard de la nature des travaux à exécuter, et les époux Y ne produisent aucun élément de nature à contredire cette affirmation.

Dans ces conditions les finitions des travaux concernant le pignon nord, qui jouxte le fonds des époux Y, ne peuvent manifestement être réalisés que depuis la propriété Y.

Le maître d’oeuvre de la SCI indique que la façade nord de la maison, en béton cellulaire, est à nu et doit être recouverte d’un enduit protecteur étanche afin d’éviter sa dégradation.

Il explique que la couverture en tuiles du mur est inégale et orientée avec une pente dirigée vers la façade nord de la maison, de sorte que les eaux de pluie ruisselant sur ces tuiles s’écoulent actuellement sur la façade de la maison et que l’arasement du mur et la pose d’un hébergement et d’un caniveau sur la tête de ce mur, vont permettre d’éviter les problèmes d’étanchéité entre le mur et la façade.

Il ajoute que les avertissements incluront une retombée verticale d’environ 15 cm pour assurer une jointure étanche avec l’enduit existant sur le mur et le nouvel enduit de la façade.

Il précise que la maison est attenante sur ses côtés sud et ouest à des murs et un terrain propriétés de la mairie de Saint Genis Laval et que les eaux de pluie de la maison ne peuvent pas être évacuées de ces deux côtés, ni sur le terrain des époux Y, et qu’il est nécessaire de les acheminer sur le terrain de la SCI côté est.

Il indique que devant le conciliateur de justice, M. Y a refusé l’option consistant à installer une descente rampante apparente le long de la façade nord de la maison et que dans ces conditions, l’arasement pouvant aller jusqu’à 60 cm environ vers l’angle nord-est de la maison est nécessaire afin de pouvoir créer une pente suffisante sur la tête du mur afin de permettre l’écoulement naturel des eaux de pluie.

Il conclut que la durée prévisible des travaux est de 15 jours ouvrés sur trois semaines consécutives si les conditions météorologiques le permettent.

Il apparaît que les travaux envisagés par la SCI Z-F sont indispensables à la finition et à la bonne conservation de sa maison, et cela quelle que soit la solution qui sera retenue pour l’évacuation des eaux de pluie, qui n’a pas à être déterminée par la juridiction.

C’est pourquoi l’ordonnance dont appel sera confirmée en ce qu’elle a autorisé le tour d’échelle dans la propriété Y pour la réalisation de ces travaux.

Afin que ces travaux ne causent pas au fonds voisin un préjudice excessif ou disproportionné et que les éventuels dommages engendrés soient indemnisés, il convient de confirmer le premier juge qui a entériné les propositions de la SCI Z-F sur les précautions qu’elle prendra à cette occasion.

Les époux Y réclament une provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice de jouissance qu’ils vont subir dans la mesure où ils ne pourront pas garer leur véhicule à l’intérieur de leur propriété pendant la durée des travaux, en raison de la présence de l’échafaudage. Ils sollicitent à ce titre une somme de 300 euros par jour. La durée des travaux étant évaluée à trois semaines, l’ordonnance dont appel sera confirmée en ce qu’elle a fixé à 1000 euros la provision à valoir sur ce chef de préjudice, une telle somme étant proportionnée à la privation de jouissance alléguée.

Le premier juge a fixé à 100 euros par infraction constatée par huissier de justice l’astreinte mise à la chage des époux Y pour assurer l’exécution de l’autorisation de tour d’échelle. La SCI Z-F demande que cette somme soit portée à 300 euros en raison de la détermination des époux Y à faire obstacle à la réalisation des travaux.

La SCI attendant de faire réaliser ces travaux depuis plus de trois ans, et ce alors qu’une conciliation est intervenue le 21 novembre 2017, il y a lieu de porter le montant de l’astreinte à 300 euros par infraction pour assurer la réalisation effective des travaux.

La SCI Z-F réclame la condamnation des époux Y à lui verser une indemnité pour résistance abusive aux motifs qu’elle a consacré beaucoup de temps à cette procédure, que le retard pris renchérira les travaux et que la façade, soumise aux intempéries, nécessitera des reprises.

Toutefois, elle ne rapporte pas la preuve qu’en 2017, les parties avaient trouvé un accord sur tous les points évoqués aujourd’hui et que les époux Y ont agi de mauvaise foi en la contraignant à engager la présente procédure, de sorte que sa demande de provision à ce titre sera rejetée.

Enfin, les époux Y, partie perdante, supporteront les dépens d’appel et seront condamnés in solidum à payer à la SCI Z-F une somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Leur demande de ce chef sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort :

Confirme l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Lyon le 30 mars 2020 en toutes ses dispositions, sauf à porter à 300 euros par infraction le montant de l’astreinte ;

Y ajoutant,

Déboute la SCI Z-F de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Condamne in solidum M. et Mme Y aux dépens d’appel avec droit de recouvrement direct au profit de Me Descollonge, avocat ;

Condamne in solidum M. et Mme Y à payer à la SCI Z-F une indemnité de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procéudre civile ;

Les déboute de leur demande de ce chef. »