La convention d'occupation précaire n'est pas un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 (mardi, 31 août 2021)

Cette décision s'inscrit dans la pratique, qu'il convient d'éviter, de l'occupation d'un bien vendu, par l'acheteur, avant que la vente ne soit parfaite par la signature de l'acte authentique de vente.

L'occupant prétendait disposer d'un bail soumis à la loi du 6 juillet 1989.

La Cour de cassation rejette cette prétention.

"Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 8 octobre 2019), le 30 juin 2016, M. [V] a consenti à M. [B] une promesse de vente d'un appartement.

2. Le même jour, les parties ont conclu devant notaire une convention d'occupation précaire portant sur le même logement et autorisant M. [B] à l'occuper en l'attente de la signature de l'acte authentique de vente.

3. La vente n'étant pas intervenue, malgré un report de l'échéance au 30 juin 2017, et M. [B] s'étant maintenu les lieux, M. [V] l'a assigné en expulsion, paiement d'une indemnité d'occupation et dommages et intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [B] fait grief à l'arrêt de constater qu'il est occupant sans droit ni titre et d'ordonner son expulsion, alors « que la validité d'une convention d'occupation précaire dérogatoire aux dispositions d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989 est subordonnée à la caractérisation de l'existence, au moment de sa signature, de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une telle convention ; que l'acquisition, par l'occupant, du bien faisant l'objet d'une convention d'occupation précaire, conclue dans le but exprès de permettre à l'acquéreur d'entrer dans les lieux avant réalisation de l'acte authentique de vente, ne constitue pas une circonstance particulière indépendante de la seule volonté des parties justifiant le recours à une telle convention, nonobstant la clause de la promesse de vente dudit bien subordonnant la réalisation de la vente à l'obtention d'un prêt bancaire ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 2 de la loi précitée du 6 juillet 1989, ensemble l'article 1134, devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel a relevé que l'intention commune des parties, expressément consignée dans l'acte du 30 juin 2016, avait été de permettre à M. [B], moyennant une redevance modique, d'occuper les lieux pendant une durée de neuf mois, expirant le 31 mars 2017, en l'attente de la signature de l'acte authentique de vente qui était conditionnée par l'obtention d'un crédit immobilier.

6. Elle a ainsi caractérisé l'existence de circonstances particulières, indépendantes de la seule volonté des parties, permettant de retenir la qualification de convention d'occupation précaire et justifiant le rejet de la demande de requalification du contrat en bail d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

8. M. [B] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une certaine somme à M. [V] à titre de dommages et intérêts, alors :

« 1°/ qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [B] à verser à M. [V] une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

2°/ qu'en statuant par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus le droit d'ester en justice de M. [B], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

9. D'une part, la cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief pris d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.

10. D'autre part, la cour d'appel a souverainement retenu que le maintien dans les lieux de M. [B] avait empêché M. [V] de disposer de son bien, qu'il souhaitait vendre pour se procurer un capital, et que cette situation lui avait causé un préjudice non entièrement réparé par l'octroi d'une indemnité d'occupation.

11. Il en résulte que les dommages et intérêts alloués à M. [V] n'ont pas été fondés sur un abus de procédure commis par M. [B].

12. Le moyen, qui manque en fait, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] et le condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille vingt et un.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Ohl et Vexliard, avocat aux Conseils, pour M. [B]

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'avoir constaté que M. [M] [B] était occupant sans droit ni titre du logement sis [Adresse 1] (72), d'avoir ordonné en conséquence à M. [B] de libérer les lieux de sa personne et de ses biens, ainsi que tous occupants de son chef, dans le délai d'un mois suivant la signification du jugement, à défaut de libération volontaire des lieux, d'avoir autorisé M. [S] [V] à faire procéder à l'expulsion de M. [B] des locaux et de toutes personnes s'y trouvant de son chef, le cas échéant avec l'assistance de la force publique, et ce à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la délivrance d'un commandement d'avoir à libérer les lieux conformément à l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, d'avoir autorisé M. [V] à faire transporter les meubles et objets mobiliers garnissant les lieux, dans tout garde-meuble de leur choix, aux frais, risques et périls du défendeur, dit que le sort des meubles serait réglé selon les dispositions des articles R.433-1 à R.433-6 du code des procédures civiles d'exécution, d'avoir condamné M. [B] à payer à M. [V] une indemnité mensuelle d'occupation égale à 500 euros par mois à compter du 1er avril 2017 et jusqu'à libération des lieux caractérisée par la remise des clés, et d'avoir en conséquence débouté M. [B] de ses différentes demandes,

Aux motifs propres suivants (arrêt, pp. 6 -7) :

L'intention non contestée des parties expressément consignée à l'acte du 30 juin 2016 au rapport de Me [M], notaire était de : « permettre à M. [B] d'entrer dans les lieux dès le 1er juillet 2016, sachant qu'il serait "occupant" jusqu'à la réalisation de l'acte authentique de vente » lequel était conditionné à l'obtention par l'acquéreur d'un prêt immobilier. Cette circonstance particulière justifiait la modicité de la redevance d'occupation fixée à la somme globale due pour toute la durée d'occupation soit du 1er juillet 2016 au 1er avril 2017, de 1 182,55 euros correspondant aux charges de copropriété et quote-part d'impôts fonciers et d'habitation. La signature d'une telle convention à échéance au 1er avril 2017 répondait à la volonté commune des parties rappelée dans l'acte et se justifiait par l'existence d'une cause objective indépendante de la seule volonté des parties au moment de la signature du contrat. Il n'y a pas lieu en conséquence de requalifier en bail d'habitation ce contrat d'occupation souscrit dans l'attente de la réalisation de la promesse de vente. M. [B] au 15 mars 2017 s'est avéré dans l'incapacité de justifier du dépôt d'une demande de prêt alors que la promesse notariée de vente expirait le 31 mars 2017. Il n'a pas quitté les lieux ni opéré le moindre versement entre cette date et le 30 juin 2017, alors que M. [V] avait accepté, par avenant. de repousser à cette date l'expiration de la promesse de vente. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé qu'il était devenu occupant sans droit ni titre.
L'indemnité d'occupation a été fixée à la somme de 500 euros par mois à compter du 1er avril 2017 jusqu'à libération des lieux caractérisée par la remise des clés. M. [B] estime cette somme excessive. Il soutient sans toutefois en justifier que le loyer pour un appartement de cette surface serait au Mans de 400 euros mensuels seulement. M [V] qui a perdu la jouissance de ce bien immobilier compte tenu de la présence de M. [B] est fondé à obtenir une indemnité mensuelle correspondant à la perte de jouissance du dit bien. Eu égard à la surface du bien litigieux, situé dans un quartier central du vieux Mans, le prix retenu de 500 euros par mois apparaît justifié. Il n'existe aucun motif légitime à l'appui de la demande de délai de grâce que sollicite l'appelant. L'état de santé de M. [B] n'apparaît pas un motif suffisant de maintien dans les lieux. M. [B], pour obtenir la mise à disposition de cet appartement, s'est engagé à l'acquérir. Il ne saurait faire valoir son absence de revenus dès lors qu'il ne travaille plus en raison des séquelles qu'il présente depuis l'accident de la voie publique dont il a été victime en 2007. Cette situation était déjà la sienne lorsqu'il a souscrit ces engagements qu'il n'a pas tenus. M. [B] ne justifie pas des mesures qu'il entend mettre en oeuvre pour indemniser M. [V], lequel justifie par ailleurs de difficultés financières personnelles liées à la situation de son épouse. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné l'expulsion dans le délai d'un mois suivant la signification de la décision. Il n'y a pas lieu d'accorder à M. [B] un délai complémentaire,

Et aux motifs éventuellement adoptés suivants (jugement, pp. 3 - 4) :

M. [S] [V] et M. [M] [B] ont conclu le 30 juin 2016 une convention d'occupation précaire portant sur un ensemble immobilier sis [Adresse 1] (72)
pour une période de neuf mois arrivant à échéance le 31 mars 2017, moyennant une redevance d'occupation d'un montant de 1.182,55 euros. Parallèlement était signée par les parties une promesse de vente portant sur le même bien expirant le 31 mars 2017, délai prorogé au 30 juin 2017. Il n'est pas contesté par les parties que M. [M] [B], qui n'a pas réitéré la promesse de vente faute de disposer des fonds nécessaires à l'acquisition de l'ensemble immobilier, est occupant sans droit ni titre de l'immeuble sis [Adresse 1] (72) depuis le 1er avril 2017. Il n'a pas libéré les lieux en dépit de la délivrance d'une sommation interpellative en date du 19 septembre 2017. Il y a lieu en conséquence d'ordonner l'expulsion de M. [M] [B] selon des modalités fixées dans le dispositif de la décision. Selon l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation. Selon l'article L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution, la durée des délais prévus à l'article L412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux L. 441-2-3 et L. 441-2-3-l du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés. M. [M] [B] sollicite un délai de deux ans avant expulsion sur le fondement des dispositions de l'article L.613-1 du code de la construction et de l'habitation afin de finaliser l'acte de vente. Il expose avoir été victime d'un grave accident de la voie publique en 2007 l'ayant contraint d'abandonner son emploi d'ingénieur conseil au sein d'une grande entreprise, percevoir le RSA et être en attente de versement d'importantes provisions à valoir sur son indemnisation définitive dans le cadre d'une procédure judiciaire. M. [S] [V] s'oppose à l'octroi de délais au défendeur. De fait M. [M] [B] a cependant obtenu plus de dix-huit mois de délais pour tenter de finaliser la vente de sorte qu'il convient de rejeter sa demande de délais avant expulsion. L'occupation illicite des lieux par M. [M] [B] sera réparée par l'octroi d'une indemnité mensuelle d'occupation qui sera fixée à la somme de 500 euros, conformément à l'évaluation faite par Me [M], notaire, le 5 septembre 2017, à compter du 1er avril 2017 et jusqu'à libération effective des lieux. Il est à noter que M. [M] [B] conteste l'évaluation de l'indemnité d'occupation, considérant qu'elle ne correspond pas au prix du marché. Il ne produit cependant aucun élément au soutien de ses dires de sorte qu'il convient de se fonder sur le justificatif produit aux débats par les parties,

Alors que la validité d'une convention d'occupation précaire dérogatoire aux dispositions d'ordre public du titre premier de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 est subordonnée à la caractérisation de l'existence, au moment de sa signature, de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une telle convention ; que l'acquisition, par l'occupant, du bien faisant l'objet d'une convention d'occupation précaire, conclue dans le but exprès de permettre à l'acquéreur d'entrer dans les lieux avant réalisation de l'acte authentique de vente, ne constitue pas une circonstance particulière indépendante de la seule volonté des parties justifiant le recours à une telle convention, nonobstant la clause de la promesse de vente dudit bien subordonnant la réalisation de la vente à l'obtention d'un prêt bancaire ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 2 de la loi précitée du 6 juillet 1989, ensemble l'article 1134, devenu 1103 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt partiellement Infirmatif attaqué d'avoir condamné M. [B] à verser à M. [V] une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts,

Aux motifs suivants (arrêt, p. 7) :

L'indemnité d'occupation n'assure pas l'entière indemnisation des préjudices de M. [V] lequel ne peut plus disposer librement de ce bien qu'il souhaitait vendre afin de se procurer un capital disponible. La patience et l'existence des pourparlers, qu'il a menés dans un premier temps avec M. [B] avec l'espoir de parvenir à une issue amiable, ne sont pas de nature à faire obstacle à l'indemnisation du préjudice qu'il subit du fait de l'échec de son projet initial et de l'impossibilité de remise en vente aisée de ce bien dans lequel se maintient un tiers. Le jugement sera infirmé à cet égard et M. [B] condamné à lui verser une somme de 1 500 euros à ce titre.

1°/ Alors qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraînera la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [B] à verser à M. [V] une somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

2°/ Alors en tout état de cause qu'en statuant par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une faute faisant dégénérer en abus le droit d'ester en justice de M. [B], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu l'article 1240 du code civil."