Les éoliennes ne causent pas un trouble anormal du voisinage ! (mercredi, 30 septembre 2020)

C'est ce que juge dans ce cas la Cour de Cassation.

Climat, énergie et développement, par Thibault Laconde: Combien d'éoliennes  pour alimenter la France ?

"Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 26 mars 2019), les consorts P... ont, après expertises ordonnées en référé, assigné la société Parc éolien de Roman en réparation des préjudices occasionnés par l'installation, à proximité des résidences secondaires dont ils sont propriétaires, d'éoliennes générant, selon eux, des troubles anormaux du voisinage.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Les consorts P... font à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ; que la cour d'appel a approuvé les conclusions de l'expert constatant qu'il existait un trouble paysager en accédant aux propriétés voisines du parc éolien de Roman pouvant avoir une conséquence lors d'une revente éventuelle et que les propriétaires subissaient donc un préjudice du fait d'une atteinte à l'environnement général dans lequel se situait leurs biens se traduisant par une difficulté à trouver des acquéreurs potentiels de ceux-ci ou une diminution de leur valeur vénale qu'il a évaluée à une décote de 10 % à 20 % ; qu'en excluant cependant par principe l'existence d'un trouble anormal du voisinage au prétexte erroné que les modifications apportées à l'environnement du bien ne pourraient donner lieu à réparation faute de droit acquis à le conserver, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le principe susvisé ;

2°/ que nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ; que la cour d'appel a approuvé les conclusions de l'expert constatant qu'il existait un trouble paysager en accédant aux propriétés voisines du parc éolien de Roman pouvant avoir une conséquence lors d'une revente éventuelle et que les propriétaires subissaient donc un préjudice du fait d'une atteinte à l'environnement général dans lequel se situait leurs biens se traduisant par une difficulté à trouver des acquéreurs potentiels de ceux-ci ou une diminution de leur valeur vénale qu'il a évaluée à une décote de 10 % à 20 % ; qu'en excluant que ce préjudice ait pu caractériser un trouble anormal du voisinage au prétexte indifférent qu'il trouvait son origine dans l'exploitation d'une activité qui relevait de l'intérêt général, la cour d'appel a derechef violé le principe susvisé ;

3°/ que l'existence d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est appréciée in concreto ; que, pour exclure tout trouble anormal du voisinage, la cour d'appel s'est encore bornée à constater que les propriétaires évaluaient l'ensemble des préjudices visuels subis en raison de la présence à proximité de leurs biens du parc éolien (préjudice visuel depuis leur propriété, difficulté à revendre et perte de valeur vénale) à un montant supérieur à celui retenu par l'expert fixant la perte de valeur vénale des propriétés à un montant des moins négligeables, compris entre 10 et 20 %, pour le seul préjudice paysager sur le chemin d'accès aux propriétés entraînant une difficulté à revendre les biens ; qu'en statuant, sans apprécier elle-même l'importance de ce préjudice et donc sans rechercher s'il caractérisait un trouble anormal au regard de son impact pour les consorts P..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe susvisé. »

Réponse de la Cour

4. Se fondant sur les rapports d'expertise, ainsi que sur un constat d'huissier de justice, la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, constaté que le volume des émissions sonores générées par les éoliennes, de nouvelle génération, était, de jour comme de nuit, inférieur aux seuils prévus par la réglementation en vigueur et que le bois situé entre les propriétés et le parc éolien, installé à distance réglementaire des habitations, formait un écran sonore et visuel réduisant les nuisances occasionnées aux habitants d'un hameau, certes élégant et paisible, mais situé dans un paysage rural ordinaire.

5. Ayant retenu à bon droit que nul n'a un droit acquis à la conservation de son environnement et que le trouble du voisinage s'apprécie en fonction des droits respectifs des parties, elle a estimé que la dépréciation des propriétés concernées, évaluée par expertise à 10 ou 20 %, selon le cas, dans un contexte de morosité du marché local de l'immobilier, ne dépassait pas, par sa gravité, les inconvénients normaux du voisinage, eu égard à l'objectif d'intérêt public poursuivi par le développement de l'énergie éolienne.

6. Elle a souverainement déduit de ces motifs que les consorts P... ne justifiaient pas d'un trouble anormal du voisinage.

7. Le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme P... et Mme E... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept septembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour M. et Mme P... et Mme E...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. et Mme P... et Mme E... de leurs demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur le préjudice de perte de valeur des propriétés, les appelants sollicitent des indemnités de 194 000 € pour les plus proches, les consorts W... O..., de 178 000 € pour les époux P... et de 113 925 € pour les époux H..., plus distants, correspondant respectivement, par rapport aux valeurs des propriétés retenues par l'expert abstraction faite des éoliennes, à 45 %, 40 % et 35 % de perte de valeur ; que ce préjudice a fait l'objet d'une étude très approfondie de la part de l'expert immobilier, M. V..., qui n'hésite pas à parler de « pollution » visuelle du fait de l'existence des éoliennes (terme qu'il retire ensuite pour le cas d'espèce à la suite d'un dire du conseil des intimés) et à admettre que d'une manière générale l'installation d'un parc éolien fait perdre de la valeur aux propriétés voisines, qui se vendent moins bien et/ou moins cher ; que l'expert s'est rendu deux fois sur place visiter avec soin les maisons, leurs dépendances et leurs jardins, analyser les travaux de modernisation dont elles avaient fait l'objet, indiquer la distance des habitations à l'éolienne la plus proche (de 569 m pour les consorts W... O... à 1167 m pour les époux H...), prendre toutes les photos utiles, rectifier ses premières descriptions sur les dires des parties, se renseigner sur le marché immobilier local et sur les 13 dernières transactions les moins anciennes, interroger le notaire local ; qu'apprécier la perte de valeur, sa mission, dépend des inconvénients concrets provoqués par les éoliennes ; que, pour sa part, il n'a entendu aucun bruit, mais la chose peut varier selon le vent, le feuillage des arbres, etc., et il a attendu à juste titre les mesures faites par M. U... pour conclure ; qu'il n'a pas de peine à estimer l'impact visuel dont chacun peut se faire une idée à partir des photos ; que ses constatations et photographies sont utilement complétées par celles qui figurent au constat de Me Y... du 19 septembre 2011 qui décrit la situation sonore et visuelle au niveau des 3 propriétés, [...] (où un bruit de chantier l'a empêché d'apprécier le bruit au niveau de cette propriété) et sur la route qui mène au hameau, ainsi que par celles produites par les appelants, pièces 29, 29 bis et 38, qui ont le mérite de faire prendre conscience d'une impression de présence proche ; que les trois propriétés sont à distance réglementaire des éoliennes, plus de 500 m ; qu'elles sont protégées de la vue par le bois de [...] ; que depuis l'habitation de M. et Mme P..., l'impact visuel des éoliennes est « très faible » (p. 10 et p. 15), on peut apercevoir par intermittence le haut d'une pale dans le jardin mais pas dans la maison ; que depuis la maison des H..., située à 1167 m de l'éolienne la plus proche, il estime qu'il n'y a pas d'impact visuel direct « sauf quand on arrive en voiture par la route », « la seule vue sur une éolienne est à partir du fond du jardin derrière la maison » (p. 11) « que ce soit au mois d'avril ou au mois de juillet » (p. 16) ; quant à la vue des éoliennes à partir de la propriété de M. Q..., même chose, elles sont bien visibles quand on vient par la route, mais la vue est très limitée, uniquement dans le jardin (p. 12, 15, 18, 22), pas de l'intérieur de la maison ; que le hameau est élégant et paisible, mais le paysage rural à l'entour est ordinaire ; qu'en conclusion, l'expert constate (p. 42) : « - que l'impact auditif, n'a pas été constaté lors de nos visites, mais qu'il peut être augmenté en l'absence de feuillage, - que l'impact visuel est inexistant l'été avec le feuillage aux arbres pour les trois propriétés ; - que l'impact visuel est plus important sous certaines conditions de saison et d'ensoleillement à partir de la propriété Q... ; - qu'il existe un trouble paysager en arrivant d'un côté ou de l'autre du chemin communal à partir de l'extérieur des propriétés pouvant avoir une conséquence et un préjudice lors d'une revente éventuelle ; - le préjudice est celui causé dans l'environnement paysagé général bien que ce ne soit pas une gêne particulière et directe, il peut se traduire par un refus d'éventuels acquéreurs réfractaires à cet environnement ou une baisse du prix de vente, seul facteur décisif » ; qu'il prend en compte un désistement sur un compromis en 2010 et l'avis du notaire, Maître N... (p. 45), qui impute la tendance baissière du marché à l'apathie du marché local, sans vouloir exclure l'influence des éoliennes, les particularités de chacune des propriétés, pour admettre une certaine dévaluation de la valeur des trois propriétés, qu'il chiffre respectivement à 20 % pour celle de M. Q..., 10 % pour celle de M. et Mme P... et 10 % pour celle de M. et Mme H... (pp. 48-49) ; qu'on est très loin des proportions soutenues par les appelants ; qu'il n'y a pas de droit acquis à la conservation de son environnement (en ce sens Civ. 3e 21 octobre 2009, Revue de Droit Immobilier 2010, p. 161) et l'appréciation du trouble anormal de voisinage se fait en fonction des droits respectifs des parties (Civ. 3e 20 décembre 2000, pourvoi n° 98-15.024) ; qu'en l'espèce, il y a lieu de tenir compte de l'intérêt général reconnu dans la jurisprudence du Conseil d'Etat qui, par interprétation de divers textes, estime que les éoliennes présentent un intérêt public tiré de leur contribution à la production d'électricité ; qu'il y a donc lieu d'approuver le travail et les conclusions de l'expert ; que la juridiction d'appel en tire la conclusion juridique qu'on ne saurait admettre en l'espèce que le parc éolien de Roman constitue pour chacune des trois propriétés, du point de vue de la perte de valeur vénale, un trouble qui dépasse, par sa gravité, les inconvénients normaux de voisinage ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'expert V... spécialiste en estimations immobilières désigné par ordonnance de référé du 09 novembre 2011, s'est déplacé à deux reprises sur le site où sont situées les propriétés des parties demanderesses en avril 2012 et en juillet 2013 ; que s'agissant de la propriété de Monsieur Q..., la plus proche du parc éolien, l'expert a constaté qu'il était possible d'apercevoir deux éoliennes à l'entrée de la propriété, à une cinquantaine de mètres de la maison ainsi que « légèrement » à partir des fenêtres de l'étage, celui-ci précisant que la vue portait sur le sommet des pâles ; qu'il conclut à un impact visuel faible au printemps, et nul durant la saison estivale tant devant la maison que sur la terrasse d'agrément ou encore de l'étage ; que s'agissant de la propriété des consorts P..., l'expert indique qu'il n'y a pratiquement aucune vue sur les éoliennes, seul le haut d'une pale étant visible si tant est que l'on prenne du recul mais uniquement à l'extrémité d'une terrasse, côté nord, et sous réserve de « rechercher l'éolienne » ; que, pour la propriété de Monsieur et Madame H..., la plus éloignée, Monsieur V... conclut à l'absence d'impact visuel direct, les éoliennes n'étant pas visibles de la maison, ni de la terrasse ou de la piscine, seul le haut d'une pale étant perceptible à partir du fond du jardin ; qu'en outre toutes les habitations sont protégées par un écran végétal constitué par le bois de la [...] ; que l'effet stroboscopique invoqué n'a pas été repris dans les conclusions expertales ; qu'il en résulte que l'impact visuel direct des éoliennes sur les propriétés des demandeurs est tantôt faible (propriété Q..., uniquement durant le printemps), tantôt très faible (propriété P...), tantôt inexistant (propriété H...) et n'est donc pas constitutif d'un trouble anormal de voisinage ; que l'expert fait état d'un préjudice de jouissance qui découlerait de la seule présence des aérogénérateurs à proximité des habitations et dont l'effet se ferait ressentir lors d'une revente éventuelle, les acquéreurs potentiels, confrontés visuellement à ces dispositifs à l'approche du hameau de la [...], étant susceptibles d'être dissuadés dans leur projet d'achat ; qu'il évoque les aspects émotionnels liés à une vente et leur rôle majeur dans la réalisation d'une transaction immobilière ; qu'il met en exergue la qualité des bâtiments qu'il situe dans le haut de gamme des biens immobiliers et l'exigence corrélative des acquéreurs ; que toutefois, il est constant que nul n'est assuré de conserver intact son environnement et qu'il n'existe pas de droit acquis à la permanence de la vue qu'un propriétaire peut avoir de son fonds ; que l'expert lui-même précise le caractère totalement subjectif de l'impact visuel que peut avoir la présence d'une éolienne en ce qu'il déclare « que tout le monde n'est pas affecté de la même façon part leur présence » ; qu'en outre, il décrit le site d'implantation des éoliennes environnant les habitations des demandeurs comme étant constitutif d'un paysage qu'il qualifie de « rural » mais sans présenter de caractère remarquable ou préservé et dont il dénie toute spécificité particulière ; qu'il relève par ailleurs la présence à proximité du site de poteaux électriques à haute tension ; qu'il convient de noter que ces objets de grandes tailles et de caractère industriel sont propre à dénaturer le paysage ou du moins à en atténuer l'aspect « préservé » ; que la responsabilité fondée sur le trouble anormal du voisinage suppose que soit rapportée la preuve d'un trouble qui excède les inconvénients ordinaires du voisinage ; que cette définition suppose l'existence d'un trouble qui présente un certain caractère de gravité, les inconvénients « normaux » n'ouvrant pas droit à réparation ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, l'expert invoquant tout au plus un impact visuel direct faible en ce qu'il est conditionnel (seulement des fenêtres de l'étage de la maison et encore de l'extrémité d'une terrasse, côté nord et sous réserve de « rechercher l'éolienne »), partiel (juste le sommet des pales) ou temporaire (durant le printemps) ; que ce dernier parle le plus souvent d'impact direct inexistant ; que la preuve d'un impact indirect découlant de la seule proximité du parc éolien des habitations des consorts Q..., P... D... et H...-E... n'est pas établie ; qu'ils seront ainsi déboutés de leur demande d'indemnisation fondée sur le trouble anormal du voisinage lié aux nuisances visuelles alléguées ;

1°) ALORS QUE nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ; que la cour d'appel a approuvé les conclusions de l'expert constatant qu'il existait un trouble paysager en accédant aux propriétés voisines du parc éolien de Roman pouvant avoir une conséquence lors d'une revente éventuelle et que les propriétaires subissaient donc un préjudice du fait d'une atteinte à l'environnement général dans lequel se situait leurs biens se traduisant par une difficulté à trouver des acquéreurs potentiels de ceux-ci ou une diminution de leur valeur vénale qu'il a évaluée à une décote de 10 % à 20 % ; qu'en excluant cependant par principe l'existence d'un trouble anormal du voisinage au prétexte erroné que les modifications apportées à l'environnement du bien ne pourraient donner lieu à réparation faute de droit acquis à le conserver, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le principe susvisé ;

2°) ALORS QUE nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage ; que la cour d'appel a approuvé les conclusions de l'expert constatant qu'il existait un trouble paysager en accédant aux propriétés voisines du parc éolien de Roman pouvant avoir une conséquence lors d'une revente éventuelle et que les propriétaires subissaient donc un préjudice du fait d'une atteinte à l'environnement général dans lequel se situait leurs biens se traduisant par une difficulté à trouver des acquéreurs potentiels de ceux-ci ou une diminution de leur valeur vénale qu'il a évaluée à une décote de 10 % à 20 % ; qu'en excluant que ce préjudice ait pu caractériser un trouble anormal du voisinage au prétexte indifférent qu'il trouvait son origine dans l'exploitation d'une activité qui relevait de l'intérêt général, la cour d'appel a derechef violé le principe susvisé ;

3°) ALORS QUE l'existence d'un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est appréciée in concreto ; que, pour exclure tout trouble anormal du voisinage, la cour d'appel s'est encore bornée à constater que les propriétaires évaluaient l'ensemble des préjudices visuels subis en raison de la présence à proximité de leurs biens du parc éolien (préjudice visuel depuis leur propriété, difficulté à revendre et perte de valeur vénale) à un montant supérieur à celui retenu par l'expert fixant la perte de valeur vénale des propriétés à un montant des moins négligeables, compris entre 10 et 20 %, pour le seul préjudice paysager sur le chemin d'accès aux propriétés entraînant une difficulté à revendre les biens ; qu'en statuant, sans apprécier elle-même l'importance de ce préjudice et donc sans rechercher s'il caractérisait un trouble anormal au regard de son impact pour les consorts P..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe susvisé."