Le bail d'habitation ne pouvait être distinct du bail commercial (mardi, 05 juin 2018)

Dans cette affaire deux baux distincts avaient été signés, mais les juges considèrent que le local sur lequel portait un bail d'habitation devait être rattaché au bail commercial portant sur le local commercial, et que le bail devait être considéré comme commercial pour le tout.

"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 avril 2016) que, le 11 janvier 2002, M. X... a donné à bail à la société Coq noir de Pra Loup (la société Coq noir) un appartement destiné à son personnel, un local à skis et des réserves situés au sous-sol d'un immeuble communiquant avec le sous-sol d'un autre immeuble au sein duquel il a consenti à la même société un bail commercial portant sur un local à usage de café-restaurant ; que, le 27 mai 2013, le bailleur a donné congé à la société locataire pour vendre le logement en application des dispositions de l'article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 ; que, le 24 juillet 2013, la société Coq noir a assigné M. X... en nullité du congé et en remboursement de provisions de charges ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire que le bail qualifié d'habitation est un bail soumis au statut des baux commerciaux, de déclarer nul le congé et de rejeter ses demandes d'expulsion et de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation ;

Mais attendu qu'ayant relevé que, compte tenu de la situation des lieux en sous-sol, imbriqués en partie, dès la conclusion du bail, « par emprise du local commercial », de l'absence de fenêtre et de la présence d'un compteur électrique commun au local commercial, le local litigieux ne pouvait qu'être réservé au logement du personnel et au rangement des skis de la clientèle, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder aux recherches prétendument omises, a souverainement retenu que ce local était indispensable à l'exploitation du fonds de commerce et en a exactement déduit que le bail était soumis au statut des baux commerciaux ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dispenser la société Coq Noir de Pra Loup du paiement des loyers à compter du 1er avril 2013 jusqu'à la réalisation des travaux nécessaires à la mise hors d'eau des lieux et à la remise en état des murs et des plafonds ;

Mais attendu qu'ayant souverainement retenu qu'il ressortait tant du rapport d'expertise que d'un constat d'huissier de justice du 16 février 2015 que les lieux loués étaient insalubres, les plafonds effondrés et les murs délabrés, de sorte que, depuis le 1er avril 2013, les locaux étaient inexploitables, la cour d'appel a légalement justifié sa décision en dispensant la société locataire du paiement des loyers à compter de cette date ;

Sur le troisième moyen, ci-après annexé :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à rembourser à la société Coq Noir une certaine somme au titre des charges non justifiées ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'aux termes du bail, le bailleur devait justifier annuellement de la réalité des charges récupérables pour lesquelles il avait sollicité le règlement de provisions, que le bail ne précisait pas la quote-part des parties communes affectées aux locaux et que le bailleur ne produisait aucun justificatif sur la base de décomptes édités par le syndic de copropriété, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... et le condamne à payer à la société Coq noir de Pra Loup la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour M. X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le second bail qualifié d'habitation et conclu entre les parties le 11 janvier 2002 est un bail soumis au statut des baux commerciaux et, en conséquence, déclaré nul et de nul effet le congé délivré par Monsieur X... le 27 mai 2013, ensemble débouté celui-ci de ses demandes d'expulsion et de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation ;

AUX MOTIFS QUE le congé pour vente a été délivré par Monsieur X... dans les formes prévues par la loi du 6 juillet 1989 à laquelle les parties ont déclaré volontairement se soumettre en concluant un bail d'habitation contenant la clause ainsi libellée : « Le local faisant l'objet des présentes est destiné au logement du personnel mais ne peut pas être considéré comme un local accessoire indispensable à l'exploitation commerciale du preneur et en conséquence ne présente pas un caractère commercial. Cette condition est essentielle et déterminante pour le bailleur qui n'aurait pas consenti de bail dans le cas contraire ; par ailleurs, de convention expresse, les soussignés déclarent vouloir soumettre la location faisant l'objet des présentes aux textes régissant les baux d'habitation » ; que cette destination contractuelle ne peut cependant contrevenir à la destination réelle des lieux, dès lors que les locaux constituent une partie accessoire indispensable à l'exploitation du fonds de commerce ; qu'or, leur situation imbriquée en sous-sol en partie par emprise du local commercial, selon les termes employés par le bailleur devant l'expert, au milieu de garages, leur absence d'ouverture autre qu'un fenestron avec compteur électrique commun au local commercial selon le constat d'huissier du 16 février 2015 et leur usage de ce fait ne pouvant qu'être restrictivement réservé qu'au logement épisodique du personnel du restaurant ou à des réserves et rangement pour les skis de la clientèle ainsi qu'il résulte des attestations précitées et des procès-verbaux d'huissier du 16 mai 2013 et 16 février 2015, ce qui rend ces locaux indissociables de l'exploitation du fonds et interdit une autre destination telle qu'imposée artificiellement par le bailleur ; que dans ces conditions, il convient de requalifier le bail d'habitation en bail commercial et d'annuler le congé non conforme à la législation régissant les baux commerciaux ; que la demande d'expulsion sera en conséquence rejetée ;

ALORS QUE, d'une part, la requalification d'un bail en bail commercial est assujettie à la prescription biennale applicable en matière de baux commerciaux, le délai de deux ans courant à compter de la conclusion du bail litigieux ; que dès lors, en ne recherchant pas, comme elle y était pourtant invitée par le bailleur (cf. les dernières écritures de Monsieur X..., 4e page, 2e §), si la prescription biennale ne faisait pas obstacle à ce que le bail litigieux du 11 janvier 2002 fût requalifié en bail commercial, la demande de requalification n'ayant été introduite qu'en juillet 2013, la Cour prive son arrêt de base légale au regard de l'article L. 145-60 du Code de commerce ;

ALORS QUE, d'autre part, seuls sont impérativement soumis au statut des baux commerciaux, quelle que soit leur qualification par les parties, les baux portant sur des locaux annexes qui, non seulement constituent l'accessoire de l'exploitation d'un fonds de commerce, mais dont la privation serait de surcroît de nature à compromettre l'exploitation du fonds ; qu'en se bornant à faire ressortir que les locaux litigieux seraient, en raison de leur configuration et de leurs caractéristiques, impropres à l'usage d'habitation, ceux-ci ne pouvant qu'être restrictivement réservés au logement épisodique du personnel du restaurant ou à des réserves ou rangements pour les skis de la clientèle et qu'ils seraient ainsi indissociables de l'exploitation du fonds, sans faire ressortir en quoi la perte de ces locaux, au demeurant sinistrés depuis le 1er avril 2013 (cf. arrêt attaqué p.6, § 6), menacerait la poursuite de l'exploitation commerciale et seraient de la sorte réellement indispensables à l'exploitation du fonds de commerce, la Cour prive son arrêt de toute base légale au regard de l'article L. 145-1-I, 1° du Code de commerce ;

Et ALORS QUE, enfin et en tout état de cause, le caractère indispensable du local accessoire pour l'exploitation du fonds de commerce doit s'apprécier au regard de l'affectation qui en a été convenue dans le bail commercial et non au regard de l'usage qu'a pu en faire le locataire au prix d'un changement de destination des lieux non autorisé par le bailleur ; qu'en prenant en considération le fait que le local litigieux avait été partiellement affecté à l'usage de réserves et de rangement pour les skis de la clientèle du local commercial cependant que ce local était contractuellement destiné exclusivement au logement du personnel, comme cela résulte de la clause dont le libellé est reproduit dans l'arrêt (arrêt p.6, § 2) et sans rechercher, comme elle y était invitée (cf. les dernières écritures de Monsieur X..., 5e page) si cette modification de la situation des lieux avait été autorisée par le bailleur, la Cour prive de nouveau son arrêt de base légale au regard de l'article L. 145-1 du Code de commerce, ensemble au regard des articles 1134 ancien et 1728 du Code civil.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dispensé la société Coq Noir de Pra Loup de tout paiement de loyers au titre du bail litigieux à compter du 1er avril 2013 jusqu'à la réalisation des travaux nécessaires à la mise hors d'eau des lieux et à la remise en état des murs et des plafonds par Monsieur X... ;

AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que les locaux litigieux ont été inondés le 1er avril 2013, le bailleur se bornant à indiquer qu'il n'en est pas l'auteur et que le sinistre relève de la responsabilité de la copropriété, laquelle a d'ailleurs fait établir un constat afin de relever les désordres et de proposer les moyens propres à y remédier le 16 mai 2013 ; qu'il appartient néanmoins au bailleur d'assurer à son locataire un local en bon état de réparation, sauf à se retourner contre le syndicat des copropriétaires pour le garantir y compris par voie de justice ; qu'or il n'est pas établi que les conséquences dommageables du sinistre ait été résorbées contrairement à ce que soutient le bailleur dans ses écritures, le rapport d'expertise Groupama, assureur du locataire, en date du 26 juillet 2013 indiquant qu'à cette date les locaux étaient encore entièrement inondés et le procès-verbal d'huissier du 16 février 2015 constatant que si l'eau s'était retirée « l'ensemble de l'espace est insalubre, des plafonds sont tombés
l'ensemble des murs est délabré
l'ensemble semblant non conformes aux normes en vigueur notamment en termes d'électricité au vu des équipements présents et visibles à ce jour », ces constatations interdisant à l'assuré de refaire l'intérieur du logement avant que ces réparations incombant au propriétaire des lieux ne soient prises en charge et révélant l'inaction du bailleur depuis plus de deux ans en ce qu'il ne justifie aux débats d'aucune procédure en cours à l'encontre de la copropriété défaillante ; que dans ces conditions, il convient de dispenser le locataire du paiement des loyers pour des locaux actuellement inexploitables à compter du 1er avril 2013 et ce jusqu'à leur remise en état ;

ALORS QUE les obligations nées du bail, qu'il s'agisse de l'obligation de réparation qui pèse sur le bailleur ou de l'obligation au paiement des loyers qui pèse sur le locataire, ne peuvent survivre à l'expiration du bail ; qu'il existe donc un lien de dépendance nécessaire entre le chef de l'arrêt visé par le précédent moyen, qui déclare nul le congé délivré par Monsieur X... le 27 mai 2013, et le chef présentement visé qui dispense la société locataire du paiement des loyers à compter du 1er avril 2013 et jusqu'à la remise en état des lieux, motif pris de la défaillance du bailleur dans l'exécution de son obligation de réparation, d'où il suit que la cassation à intervenir sur la base du premier moyen entraînera l'annulation par voie de conséquence de cette autre disposition de l'arrêt, en application de l'article 624 du Code de procédure civile.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION :

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné Monsieur X... à rembourser à la société Coq Noir de Pra Loup la somme de 6.100 euros au titre des charges prétendument non justifiées ;

AUX MOTIFS QU' en ce qui concerne les charges, il appartient au bailleur, selon les termes du bail, de justifier annuellement de la réalité des charges récupérables pour lequel il a sollicité le règlement de provisions ; qu'en l'état du second bail qui ne spécifie pas la quote-part des parties communes affectées aux locaux qui en sont l'objet, du fait qu'il a été constaté par l'huissier qu'il n'existe qu'un seul compteur électrique desservant les deux locaux donnés à bail, et en l'absence de tout justificatif produit aux débats par le bailleur sur la base de décomptes édités par le syndic de copropriété au bénéfice de l'immeuble dit « Gerboise », il convient de faire droit à la demande de remboursement des provisions sur charges injustifiées, dans la limite de la prescription quinquennale, soit pour un montant de 1.220 € x 5 = 6.100 € ;

ALORS QUE, d'une part, la charge de la preuve du paiement indu incombe au demandeur à la restitution ; qu'en ordonnant la restitution des sommes perçues par le bailleur au titre des charges locatives, motif pris de l'absence de justification par ce dernier des charges locatives réellement récupérables au titre du local litigieux, la Cour méconnaît les règles gouvernant la charge de la preuve en matière de répétition de l'indu, en violation des articles 1315 et 1376 anciens du Code civil ;

ALORS QUE, d'autre part, seul ce qui a été effectivement payé peut être sujet à répétition ; que dans ses écritures, Monsieur André X..., qui se plaignait de ce que sa locataire ne payait que de façon sporadique les loyers et les charges (ses dernières écritures, 6e page, C), faisait pertinemment observer que la demande tendant à la restitution des sommes versées au titre des provisions sur charges était fantaisiste dans la mesure où la société le Coq Noir de Pra Loup ne justifiait nullement de ce qu'elle prétendait avoir payé (mêmes écritures, 7e page, D) ; que dès lors, en ordonnant la restitution d'une somme équivalente à la totalité des provisions sur charges dues pendant la période quinquennale non couverte par la prescription, sans s'être préalablement assurée du règlement intégral de la somme correspondante par la locataire, la Cour prive sa décision de base légale au regard des articles 1235 et 1376 anciens du Code civil ;

ET ALORS QUE, enfin et en tout état de cause, le montant de la restitution ne pouvait être équivalent à l'intégralité des provisions sur charges supposées payées par la locataire pendant toute la période non couverte par la prescription quinquennale que si, et seulement si, il était avéré que la locataire n'était débitrice d'aucune charge afférente au local litigieux, la contestation du montant desdites charges ne pouvant à elle seule fonder cette restitution totale ; que faute d'avoir recherché, comme elle y était pourtant invitée (cf. les dernières écritures de Monsieur X..., 7e page, alinéa 3) si les prélèvements opérés par le bailleur n'étaient pas nécessairement fondés en partie, ne serait-ce qu'en raison des charges récupérables afférentes au chauffage collectif, la Cour prive sa décision de base légale au regard de l'article 1376 ancien du Code civil, ensemble au regard de l'article 10 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965."