Vil prix et responsabilité du notaire (lundi, 14 avril 2014)

Le notaire n'est pas forcément responsable des conséquences d'une vente faite à vil prix :

 

"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 17 décembre 2012), que par acte du 20 avril 2000, reçu par Jean-Claude X..., notaire, Maurice Y... a vendu à la SCI Bloyt la nue-propriété, pour y réunir l'usufruit au décès du vendeur, d'un immeuble à usage d'habitation, et la pleine propriété de diverses parcelles moyennant un prix payable partie comptant et partie par une rente viagère indexée ; qu'à la demande de Mme Z..., héritière de Maurice Y... décédé le 23 mai 2002, cette vente a été annulée, par décision irrévocable, pour vil prix ; que la SCI Bloyt a assigné cette dernière en restitution de diverses sommes et remboursement des améliorations apportées à l'immeuble, et Mme Nicole X... ainsi que M. Stéphane X... (les consorts X...), ayants cause de Jean-Claude X..., en indemnisation ;

Attendu que la SCI Bloyt fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes à l'encontre des consorts X... alors, selon le moyen :

1°/ que le devoir de conseil, auquel est tenu le notaire, l'oblige à éclairer les parties et à s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il instrumente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a refusé de retenir la responsabilité du notaire, motif pris de ce qu'il n'était pas établi que le défaut d'information retenu à son encontre aurait eu un rôle causal dans la survenance du préjudice de la SCI Bloyt ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si le notaire n'avait pas engagé sa responsabilité pour ne pas s'être assuré de la viabilité de l'acte qu'il avait instrumenté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

2°/ que le notaire, qui doit prendre toutes dispositions pour assurer l'efficacité de l'acte instrumenté, ne peut décliner le principe de sa responsabilité en se retranchant derrière les compétences personnelles de son client ou alléguer que celui-ci a déclaré faire son affaire personnelle des conséquences de l'acte litigieux ; qu'en retenant que les parties avaient imposé les modalités de paiement du prix pour refuser de retenir la responsabilité du notaire, quand une telle circonstance, à la supposer avérée, n'était pas de nature à dispenser le notaire de son obligation de s'assurer de la viabilité de l'acte qu'il avait instrumenté, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et, partant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

3°/ que le juge est tenu de viser et d'analyser les éléments de preuve sur lesquels il fonde sa décision ; qu'en l'espèce, pour refuser de retenir la responsabilité du notaire motif pris de ce que les parties avaient imposé les modalités de paiement du prix, la cour d'appel s'est fondée sur l'examen des documents de la cause sans viser aucun de ces documents ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que la SCI Bloyt faisait expressément valoir ¿ pièces à l'appui-que le notaire, qui avait été au coeur des négociations entre les parties, avait été seul à l'origine de la conversion du prix en rente viagère, la fixation de la rente viagère à un taux dérisoire ayant entraîné la nullité de la vente ; qu'en conséquence, en affirmant que les parties avaient imposé les modalités de paiement du prix sans répondre au chef péremptoire de conclusions de la SCI Bloyt soutenant que le notaire avait maîtrisé l'ensemble du processus ayant abouti à la vente, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la circonstance qu'un notaire ait manqué à son devoir d'assurer l'efficacité de l'acte instrumenté n'implique pas nécessairement qu'il en résulte un préjudice ; qu'après avoir retenu le manquement du notaire à son obligation d'information sur les risques d'annulation de la vente en cas de vil prix, la cour d'appel a souverainement estimé que, même si elles avaient été informées, les parties, qui entretenaient des relations étroites et privilégiées et souhaitaient permettre au vendeur de payer ses dettes et de demeurer à son domicile tout en bénéficiant d'un revenu, auraient contracté aux mêmes conditions, et a ainsi caractérisé l'absence de lien de causalité certain entre la faute commise par le notaire et le préjudice dont il lui était demandé réparation ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la SCI Bloyt aux dépens ;

Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette la demande de la SCI Bloyt et la condamne à payer à la SCP Richard la somme de 2 000 euros et aux consorts X... celle globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la SCI Bloyt.

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la SCI BLOYT de ses demandes formulées à l'encontre des consorts X... ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE sur les demandes dirigées par la SCI BLOYT contre les consorts X..., il appartient à ladite société de rapporter la preuve de la faute du notaire X... en relation de causalité directe et certaine avec le préjudice dont elle fait état ; qu'à cet égard, il s'évince des documents de la cause que les parties à l'acte de vente, qui entretenaient des relations étroites et privilégiées, ont souhaité permettre au vendeur (très endetté et susceptible de voies d'exécution) de payer ses dettes et de demeurer à son domicile tout en bénéficiant d'un revenu et ont imposé des modalités de paiement du prix, lesquelles résultaient de circonstances indépendantes du notaire ; que s'il n'est pas établi que maître X... ait informé les parties des risques d'annulation de la vente, pour vileté du prix, il demeure qu'aucun élément du dossier ne démontre que ces mêmes parties auraient renoncé, compte tenu de la motivation qui était la leur, à la vente suivant les modalités de paiement du prix finalement retenues ; qu'il sera noté sur ce point que la SCI BLOYT a continué à réaliser des travaux importants en dépit de la contestation de son titre et s'est abstenue de mettre en cause le notaire dans la procédure en annulation de la vente ; qu'ainsi et à défaut d'établir, à suffisance, l'existence du lien de causalité requis entre la faute et le préjudice, ladite société a été à bon droit, déboutée de sa demande dirigée contre les consorts X... ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la SCI BLOYT poursuit la responsabilité du notaire rédacteur au travers de ses ayants-droits pour être à l'origine de la conversion du prix de vente laquelle a rendu l'acte inefficace et pour défaut d'information du risque encouru d'annulation pour vileté du prix ; que les divers écrits émis en cours d'instance initiée par madame Z... démontrent que la vente litigieuse a été négociée entre monsieur A... et monsieur de Y... en trois étapes, la SCI BLOYT dont monsieur A... était l'associé gérant, n'intervenant qu'au stade final ; qu'il est constant que les parties qui entretenaient manifestement des relations privilégiées étaient animées par la volonté commune de permettre, au travers de cette transaction à monsieur de Y..., lourdement endetté, sous la menace certaine d'une saisie future et d'une expulsion, vivant dans le dénuement total, de régler ses dettes, de demeurer chez lui sa vie durant et de bénéficier d'un revenu qui devait lui permettre de subsister ; qu'au jour de la vente, monsieur de Y... allait sur ses 66 ans ; que s'il est constant que le notaire rédacteur a suivi l'évolution des transactions et a par la suite réalisé la conversion de la rente, il est tout aussi constant que les parties ont finalement imposé les modalités de paiement du prix lesquelles ont, elles-mêmes été imposées, par des circonstances qui étaient indépendantes du notaire ; que certes il n'existe aucune preuve de ce qu'il ait informé les parties du risque d'annulation encouru, ce qui en soi constitue une faute, mais rien ne prouve que monsieur A... et avec lui, la SCI BLOYT, en raison de la volonté des parties qui a animé la transaction, aurait renoncé à la vente suivant les modalités de paiement du prix finalement retenues ; que le simple fait que la SCI BLOYT ait poursuivi des travaux importants alors que son titre avait été contesté, le fait de n'avoir pas appelé le notaire rédacteur à intervenir dans l'instance en annulation de l'acte, établit qu'elle était prête à prendre le risque d'une annulation et à tenter la chance d'une validation ; que la SCI BLOYT, qui ne prouve pas avoir perdu la chance de ne pas contracter, sera déboutée de ses demandes ;

1°) ALORS QUE le notaire, tenu à un devoir de conseil, l'oblige à éclairer les parties et à s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il instrumente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a refusé de retenir la responsabilité du notaire, motif pris de ce qu'il n'était pas établi que le défaut d'information retenu à son encontre aurait eu un rôle causal dans la survenance du préjudice de la SCI BLOYT ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si maître X... n'avait pas engagé sa responsabilité pour ne pas s'être assuré de la viabilité de l'acte qu'il avait instrumenté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

2°) ALORS QUE le notaire, qui doit prendre toutes dispositions pour assurer l'efficacité de l'acte instrumenté, ne peut décliner le principe de sa responsabilité en se retranchant derrière les compétences personnelles de son client ou alléguer que celui-ci a déclaré faire son affaire personnelle des conséquences de l'acte litigieux ; qu'en retenant que les parties avaient imposé les modalités de paiement du prix pour refuser de retenir la responsabilité du notaire, quand une telle circonstance, à la supposer avérée, n'était pas de nature à dispenser le notaire de son obligation de s'assurer de la viabilité de l'acte qu'il avait instrumenté, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et, partant, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;

3°) ALORS QUE le juge est tenu de viser et d'analyser les éléments de preuve sur lesquels il fonde sa décision ; qu'en l'espèce, pour refuser de retenir la responsabilité du notaire motif pris de ce que les parties avaient « imposé les modalités de paiement du prix », la cour d'appel s'est fondée sur « l'examen des documents de la cause » sans viser aucun de ces documents, ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) ALORS QUE La SCI BLOYT faisait expressément valoir ¿ pièces à l'appui-que le notaire, qui avait été au coeur des négociations entre les parties, avait été seul à l'origine de la conversion du prix en rente viagère, la fixation de la rente viagère à un taux dérisoire ayant entraîné la nullité de la vente (conclusions d'appel signifiées le ¿ p. 14 et 15) ; qu'en conséquence, en affirmant que les parties avaient imposé les modalités de paiement du prix sans répondre au chef péremptoire de conclusions de la SCI BLOYT soutenant que le notaire avait maîtrisé l'ensemble du processus ayant abouti à la vente, la cour d'appel a derechef violé l'article 455 du code de procédure civile."