Vente d'un bien du domaine privé et compétence juridictionnelle (vendredi, 27 septembre 2013)

Cet arrêt rappelle que des distinctions doivent être faites entre les attributions des deux ordres de juridiction :


"Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X... a signé le 10 avril 2002 une promesse d'achat aux termes de laquelle il s'est engagé à acquérir, pour un prix de 32 200 euros hors taxes, une parcelle cadastrée section AY n° 310 faisant partie du domaine privé de la commune de Biscarosse (la commune), que le conseil municipal de la commune a, par délibération du 29 avril 2002, décidé de lui vendre cette parcelle au prix de 32 200 euros hors taxes et autorisé le maire à signer l'acte notarié à intervenir, que le conseil municipal a pris, le 15 décembre 2003, une nouvelle délibération « annulant et remplaçant » la précédente et autorisant la vente au prix de 46 000 euros ; que M. X... a assigné la commune en réitération de la vente, au prix initialement fixé, et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, dirigé contre l'arrêt du 28 février 2011 :

Attendu que la commune fait grief à l'arrêt de rejeter son exception d'incompétence au profit des juridictions administratives alors, selon le moyen, que le juge judiciaire n'est pas compétent pour interpréter les délibérations des collectivités locales relatives à la vente du domaine privé ; qu'en retenant que la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2003, autorisant la vente de la parcelle au prix de 46 000 euros ne constitue pas un retrait de l'autorisation donnée au maire le 29 avril 2002 de signer l'acte de vente de la même parcelle au prix de 32 200 euros et que dès lors elle ne remet pas la vente en cause, la cour d'appel qui a interprété la délibération du 15 décembre 2003 sur le point de savoir si elle permettait la poursuite de la vente autorisée par la délibération du 29 avril 2002, a violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 ; 

Mais attendu que la cour d'appel ayant retenu que l'appréciation du caractère parfait de la vente, portant sur un bien appartenant au domaine privé de la commune, relevait de la compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire, sa décision se trouve justifiée par ce seul motif ; qu'il s'ensuit que le moyen est inopérant ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches, dirigé contre l'arrêt du 11 mai 2012 :

Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche, dirigé contre l'arrêt du 11 mai 2012 :

Vu l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 ;

Attendu que pour ordonner la réitération de la vente de la parcelle litigieuse à un prix de 32 200 euros, conformément à la promesse d'achat du 10 avril 2002 et à la délibération du conseil municipal du 29 avril 2002, l'arrêt retient que la commune ne pouvait, de sa propre initiative et unilatéralement, annuler la délibération du 29 avril 2002 et modifier le prix de vente, sans avoir fait constater la caducité de l'accord initial ;

Qu'en portant ainsi une appréciation sur le point de savoir si la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2003 pouvait emporter l'annulation de la délibération du 29 avril 2002 et, partant, sur sa légalité, la cour d'appel a excédé sa compétence et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 28 février 2011 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné la réitération de la vente d'une parcelle du terrain communal cadastrée section AY n° 310 d'une superficie de 920 m² sis 186 rue des chasseurs à Biscarosse Plage à un prix de 32 200 euros conformément à la promesse d'achat du 10 avril 2002 et à la délibération du conseil municipal de la commune de Biscarosse du 29 avril 2002, l'arrêt rendu le 11 mai 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille treize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la commune de Biscarosse

PREMIER MOYEN DE CASSATION 

Il est fait grief à l'arrêt du 28 février 2011 d'AVOIR débouté la commune de Biscarrosse de son exception d'incompétence ;

AUX MOTIFS QUE sur l'exception d'incompétence. Au soutien de cette exception, la commune de Biscarrosse expose que si par délibération du 29 avril 2002, le conseil municipal a, au vue de la promesse d'achat signée par M. Patrick X..., décidé de lui vendre la parcelle de terrain cadastrée section AY n°310 d'une superficie de 920 m2 au prix de 35 ¿ HT le mètre carré soit une somme de 32.200 ¿ HT, par une seconde libération intervenue le 15 décembre 2003, en raison de la carence de M. X... à signer l'acte authentique, la même vente a été autorisée mais au prix de 46.000 ¿ HT, l'acquéreur devant signer l'acte au plus tard le 14 mai 2004, cette décision annulant et remplaçant celle du 29 avril 2002 ; que dès lors, elle estime qu'en sollicitant la réitération de la vente conformément à la promesse d'achat du 10 avril 2002, M. X... conteste implicitement la légalité de la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2003, contestation qui ne peut être tranchée que par le biais d'un recours pour excès de pouvoir de la seule compétence de la juridiction administrative ; que conformément à l'article L. 2131 du code général des collectivités territoriales, les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement, cette transmission devant intervenir dans un délai de quinze jours à compter de la signature pour les décisions individuelles ; que M. X... ne demande au tribunal de grande instance, au regard des dispositions des articles 1582 et 1583 du code civil, que la réitération forcée de la vente dans les conditions initialement prévues dans la délibération du 29 avril 2002 les parties étant d'accord sur la chose et sur le prix, et dont l'application de la première délibération du 29 avril 2002, exécutoire comme la seconde aux termes de l'article L. 2131-1 susvisé, et non l'annulation de la seconde décision ; que les deux autorisations successives données par le conseil municipal de vente à M. X... dont il n'est pas demandé l'interprétation, ne visent pas à faire participer le cocontractant de la commune à l'exécution d'un service public et ne comportent pas de clauses exorbitantes du droit commun ; qu'elles sont relatives au même bien dont il n'est pas contesté qu'il appartient au domaine privé de la commune et ne mettent en cause, que les conditions de réalisation de la vente et donc des rapports de droit privé entre la commune et l'acquéreur puisqu'il convient d'apprécier le caractère parfait de cette vente conformément aux articles 1582 et 1583 du code civil, question qui relève de la seule compétence de la juridiction de l'ordre judiciaire ;

ALORS QUE le juge judiciaire n'est pas compétent pour interpréter les délibérations des collectivités locales relatives à la vente du domaine privé ;
qu'en retenant que la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2003, autorisant la vente de la parcelle au prix de 46.000 ¿ ne constitue pas un retrait de l'autorisation donnée au maire le 29 avril 2002 de signer l'acte de vente de la même parcelle au prix de 32.200 ¿ et que dès lors elle ne remet pas la vente en cause, la cour d'appel qui a interprété la délibération du 15 décembre 2003 sur le point de savoir si elle permettait la poursuite de la vente autorisée par la délibération du 29 avril 2002, a violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt du 11 mai 2012 d'AVOIR déclaré irrecevables, en application de l'article 16 du Code de procédure civile, les conclusions déposées et pièces produites par la commune de Biscarosse le 28 novembre 2011 ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 16 du Code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire et il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement. En l'espèce, la commune de Biscarosse a, la veille de la clôture, produit des pièces (avis du service des domaines des 4 mars 2002 et 14 mai 2003) et déposé des conclusions (développant et argumentant le moyen tiré de la péremption de l'avis de valeur délivré par le service des domaines). Il échet de considérer que M. X... n'a manifestement pas disposé d'un laps de temps suffisant pour pouvoir, avant la clôture fixée le lendemain, répondre aux dernières écritures et communications de la commune de Biscarosse ;

1) ALORS QUE les conclusions et pièces déposées avant l'ordonnance de clôture ne peuvent être écartées des débats que s'il est constaté que les parties ont été avisées de la date de l'ordonnance de clôture ; qu'en se bornant en l'espèce à relever, pour rejeter les conclusions et pièces déposées par la commune de Biscarosse la veille de la clôture, que celle-ci avait été fixée le lendemain, sans rechercher si la commune de Biscarosse connaissait la date de la clôture de l'instruction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 779 et 783 du Code de procédure civile ;

2) ALORS QUE le juge ne peut écarter des débats les conclusions et pièces déposées avant l'ordonnance de clôture sans préciser les circonstances particulières qui ont empêché le respect du principe de la contradiction ; qu'en se bornant à observer que la commune de Biscarrosse avait produit, le 28 novembre 2011, les avis du service des domaines de 4 mars 2002 et 14 mai 2003 et déposé des conclusions développant le moyen tiré de la péremption de l'avis de valeur du service des domaines, sans rechercher si ces conclusions et pièces soulevaient des moyens nouveaux appelant une réponse de la part de M. X..., la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 16 et 783 du Code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt du 11 mai 2012 d'AVOIR ordonné la réitération de la vente d'une parcelle du terrain communal cadastrée section AY n° 310 d'une superficie de 920 m² sis 186 rue des Chasseurs à Biscarosse Plage à un prix de 32.200 ¿ conformément à la promesse d'achat du 10 avril 2002 et à la délibération du conseil municipal de la commune de Biscarosse du 29 avril 2002 ;

AUX MOTIFS QUE Sur le fond, la délibération du 29 avril 2002 constitue à la fois une acceptation de l'offre d'achat émise par M. X... et un engagement réciproque de la commune à vendre le bien à celui-ci. Prise par l'organe décisionnaire de la collectivité publique, cette délibération caractérise et formalise un accord des parties, ferme, définitif et inconditionnel, tant sur l'objet que sur le prix (et sur les frais accessoires dont la charge est répartie entre acquéreur et vendeur) rendant la vente parfaite au sens de l'article 1583 du code civil, étant observé : - qu'il n'est justifié ni de la stipulation d'une quelconque condition suspensive ou résolutoire ni de la fixation d'un délai-butoir particulier pour la régularisation de la vente par acte authentique, régularisation dont le caractère obligatoire en matière de vente immobilière amiable ne permet pas de considérer, à défaut de tout autre élément, qu'elle était nécessaire à l'échange des consentements et à la perfection de la vente, que s'agissant d'une vente de gré à gré, il n'y avait pas lieu de mettre en oeuvre la procédure prévue en matière d'adjudication (spécialement quant à l'établissement et l'approbation d'un cahier des charges) invoquée par l'appelante, qu'aucun texte ne fixe un délai particulier de validité pour les avis de valeur du service des domaines et qu'en toute hypothèse, la vente est devenue parfaite antérieurement même à l'expiration du délai de validité énoncé dans l'avis du service des domaines de mars 2002 et dont, par ailleurs, il n'est pas justifié qu'il a été porté à la connaissance de M. X.... C'est à bon droit que le premier juge a considéré que si elle estimait qu'un délai excessif s'était écoulé depuis l'échange des consentements, il appartenait à la commune de mettre formellement M. X... en demeure de réitérer la vente en la forme authentique (ce dont elle ne justifie pas) et de tirer toutes les conséquences d'une carence de sa part mais qu'elle ne pouvait, de sa propre initiative et unilatéralement, annuler la délibération du 29 avril 2002 et modifier le prix de vente, sans avoir fait constater la caducité de l'accord initial ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'en réalité, Monsieur X... a tardé à se manifester pour voir réaliser l'acte authentique de vente ; qu'il a été relancé à cette fin par le notaire le 29 novembre 2002 puis par le maire de la Commune lui-même le 27 mars 2003 en lui indiquant qu'il se voyait « dans l'obligation d'annuler la délibération du 29 avril 2002 » en considérant que l'estimation des Domaines qui fondait la définition du prix de vente n'avait de valeur que durant un an ; qu'en contemplation d'une nouvelle estimation du bien litigieux faite par ce service à une somme de 46.000 euros, le Conseil Municipal de la commune a, par délibération du 15 décembre 2003, décidé de vendre ce bien pour cette somme réévaluée et a autorisé le maire à signer le contrat notarié avant le 14 mai 2004 en annulant la précédente délibération ; Que pour justifier sa position, la Commune plaide le formalisme particulier attaché à la vente de terrains communaux ; Mais attendu que la Commune qui avait conformément aux prescriptions de l'arrêté du 1er septembre 1955 et de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 fait signer une promesse d'achat comportant les éléments essentiels à la formation du contrat et délibéré sur la forme de l'aliénation en choisissant l'acte notarié sans qu'il soit stipulé de délai butoir de réalisation ne pouvait unilatéralement revenir sur la vente conclue entre les parties ; que le formalisme choisi n'avait pas pour objet de soumettre à la signature d'un acte l'échange des consentements dont le principe était déjà conforté par la délibération ni de faire échapper cette vente au droit commun mais d'assurer la transparence de la transaction conformément aux prévisions des règles applicables aux collectivités locales ; qu'en l'espèce, la commune de Biscarrosse se plaignant de l'écoulement d'un délai qu'elle jugeait déraisonnable entre l'échange des consentement et la signature de l'acte notarié avait la faculté de mettre en demeure l'acquéreur de régulariser l'acte authentique ou à défaut de voir juger les conséquences d'une carence de la part de ce dernier mais non d'en modifier unilatéralement les composantes et spécialement le prix ; Que M. Patrick X... est donc en droit de réclamer la réitération de la vente aux conditions prévues à la promesse d'achat et à la délibération du 29 avril 2002 ;

1) ALORS QUE le juge judiciaire n'a pas le pouvoir d'apprécier la validité des actes des collectivités territoriales autorisant ou refusant la vente des biens appartenant à leur domaine privé ; qu'en l'espèce, pour dire la vente parfaite, la cour d'appel a considéré que la commune de Biscarrosse ne pouvait pas modifier unilatéralement l'autorisation donnée au maire le 29 avril 2002 de signer l'acte de vente au prix de 32.200 ¿ ; qu'en prenant ainsi parti sur la validité de la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2003 qui avait fixé le prix de vente de la parcelle à 46.000 ¿, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir et violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 ;

2) ALORS, en toute hypothèse, QUE les parties peuvent décider que la réitération de l'acte en la forme authentique est un élément constitutif de leur consentement et non une simple modalité d'exécution de la vente ; qu'en l'espèce, la commune de Biscarosse faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que lors de la vente d'un immeuble du domaine privé d'une commune, le conseil municipal décide de la forme, administrative ou notariée, de l'aliénation, de sorte que la réitération de la vente par acte authentique, lorsqu'elle est prévue par la délibération du conseil municipal, est un élément constitutif de son consentement et une condition de la validité de l'acte ; qu'en retenant, en l'espèce, qu'il n'était pas justifié, à défaut de tout autre élément, que la régularisation de la vente par acte authentique était nécessaire à l'échange des consentements et à la perfection de la vente, sans rechercher, comme il était soutenu, si eu égard aux modalités particulières de cession par les communes d'immeubles faisant partie de leur domaine privé, la décision du conseil municipal de Biscarosse de réaliser la vente par acte authentique par sa délibération du 29 avril 2002 ne constituait pas un élément constitutif de son consentement, et non une simple modalité d'exécution, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1589 du Code civil, ensemble l'article L. 2241-1 du Code général des collectivités territoriales."