Notaire et pacte de préférence (vendredi, 04 janvier 2013)

La responsabilité du notaire est engagée s'il ne purge pas le pacte de préférence :

 

"Vu l'article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mai 2011), que, par acte authentique du 30 juin 2005 dressé avec la participation de Mme F..., notaire assistant les propriétaires, et publié à la conservation des hypothèques, M. Pierre X..., Mlle Anne-Charlotte X..., Mme Anne-Marie X..., épouse Y..., M. Laurent Z..., Mme Catherine Z..., Mme Paule X..., épouse A..., Mlle Claire B..., M. Aurélien B..., M. Nicolas B..., Mme Françoise C..., M. Antoine C... et Mlle Pascale C... (les consorts C...-X...) se sont engagés, pour une durée de douze années, envers la Société de conseil en investissement et financement (la SCIFIM) à lui donner la préférence sur toute personne intéressée par l'acquisition d'un immeuble ; que, par acte sous seing privé du 5 septembre 2006, rédigé par Mme F..., notaire associé de la SCP G...-F..., les consorts C...-X...ont vendu l'immeuble à M. D..., la réitération de la vente par acte authentique devant intervenir au plus tard le 30 novembre 2006 ; que, par acte sous seing privé du 16 novembre 2006, M. D... a vendu l'immeuble à la société Gibo'France sous la condition suspensive que le vendeur justifie d'une origine de propriété translative régulière, la réitération par acte authentique étant fixée au 15 février 2007 ; que M. E..., notaire de M. D..., ayant découvert l'existence du pacte de préférence révélé par l'état hypothécaire, a demandé à Mme F...la justification de la purge de ce droit ou de sa non-application ; que le 16 décembre 2006, Mme F...a notifié à la SCIFIM l'intention des propriétaires de vendre l'immeuble à M. D... ; que, le 10 janvier 2007, la SCIFIM a déclaré au notaire qu'elle usait de son droit de préférence ; que, le 23 janvier 2007, M. D... a mis en demeure les consorts C...-X...de régulariser l'acte de vente à son profit, puis les a assignés ainsi que Mme F..., la SCP G...-F..., la SCIFIM et M. E... en réitération forcée de la vente ; que la société Gibo'France est intervenue volontairement à l'instance ;

Attendu que pour débouter les consorts C...-X...de leur demande en garantie et en paiement de dommages-intérêts formée contre le notaire, l'arrêt retient qu'en dépit de la mise en demeure adressée par M. D... qui pouvait poursuivre l'exécution de la vente et réclamer la réparation de son préjudice contractuellement fixé, ils avaient refusé de réitérer la vente en la forme authentique et n'établissaient pas que le notaire fût à l'origine de ce défaut de réitération de sorte qu'ils ne pouvaient pas lui imputer le préjudice financier qu'ils prétendaient avoir subi en raison du retard de réalisation de la vente ni obtenir qu'il les garantisse de la condamnation prononcée au titre de la clause pénale ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que le notaire avait commis une faute pour ne pas avoir purgé préalablement le droit de préférence, porté à la connaissance de l'acquéreur l'existence de ce pacte ni inclus une condition suspensive dans la promesse de vente et relevé qu'il avait attendu le lendemain du dernier jour prévu pour la régularisation de la vente en la forme authentique pour interroger le bénéficiaire du pacte de préférence sur ses intentions, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen auquel les consorts C..., Z..., X...et B... ont déclaré renoncer :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute les consorts C...-X...de leur demande en paiement de dommages-intérêts et de leur demande en garantie formées contre le notaire, l'arrêt rendu le 19 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les consorts C..., Z..., X...et B... aux dépens, à l'exception de ceux exposés par la SCP Breton-Maillard, venant aux droits de la SCP G...-F...et Mme F...;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les consorts C..., Z..., X...et B... à payer la somme de 2 500 euros à M. D... et la somme de 2 500 euros à la société Gibo'France ; rejette les autres demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille douze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Ancel, Couturier-Heller et Meier-Bourdeau, avocat aux Conseils, pour les consorts C..., Z..., X...et B...

Premier moyen de cassation

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré parfaite la vente intervenue le 5 septembre 2005 entre les consorts C...et M. David D..., en conséquence constaté que la société Gibo'France disposait d'un droit à l'acquisition du local commercial au prix de 550. 000 euros, solidairement condamné les consorts C... à payer à M. David D... la somme de 41. 315 euros au titre de la clause pénale et à la SCIFIM 40. 000 euros de dommages-intérêts ;

Aux motifs que le droit de préférence, d'origine contractuelle, n'ayant pas la nature d'une préemption qui trouve sa source dans la loi, la SCIFIM ne peut prétendre que la condition relative à l'inexistence ou au non-exercice d'un droit de préemption ne s'est pas réalisée par suite de l'exercice de son droit de préférence ; que les parties au compromis se sont bornées à reporter le transfert de propriété au jour de la régularisation par acte authentique sans qu'aucune stipulation ne traduise leur volonté de retarder jusqu'à cette date la naissance de leur obligation de vendre ou d'acheter ; qu'en conséquence, la vente était parfaite dès l'échange sans équivoque des volontés le 5 septembre 2006 ; que, si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir ; que la publication du pacte de préférence du 30 juin 2005 ne créant pas une présomption de connaissance de l'acte par les tiers, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. D... avait connaissance le 5 septembre 2006 de l'existence du pacte dont bénéficiait la SCLFIM ; qu'en outre, cette dernière n'ayant usé de son droit de préférence que le 10 janvier 2007, l'appelant n'avait pas davantage connaissance de l'intention du bénéficiaire de se prévaloir du pacte au moment où il contractait ; qu'en conséquence, peu important l'antériorité du pacte, le compromis n'est pas nul, de sorte qu'il convient de faire droit à la demande de M. D... tendant à déclarer parfaite la vente du 5 septembre 2005 ; que M. D... ne s'étant pas soustrait à ses obligations, il n'y a pas lieu de le condamner au paiement du prix sous astreinte ; que la somme de 20. 657, 50 € versée par ce dernier s'imputera sur le prix de vente ; qu'il convient de faire droit à la demande de la société Gibo'France de constatation de son droit à l'acquisition du local commercial au prix de 550. 000 € ; que l'action de M. D... étant bien fondée, les demandes formées contre lui, fondées sur l'abus de procédure ou la mauvaise foi, doivent être rejetées ; que le compromis du 5 septembre 2005 prévoit à titre de clause pénale qu'au cas où, toutes les conditions étant remplies, l'une des parties après avoir été mise en demeure, ne régulariserait pas l'acte authentique, elle devra verser à l'autre la somme de 41. 315 euros, cette clause ne pouvant priver, dans la même hypothèse, chacune des parties de la possibilité de poursuivre l'autre en exécution de la vente ; que l'acquéreur, qui était en droit de ne pas se prévaloir de la non-réalisation des conditions qui le protégeaient, peut, en vertu de la clause précitée, poursuivre l'exécution de la vente et réclamer la réparation du préjudice contractuellement fixé ; qu'en conséquence, il convient de condamner solidairement les vendeurs à payer à M. D... la somme de 41. 315 euros au titre de la clause pénale ; que les promettants, qui avaient pris l'engagement envers la SCIFIM de lui donner la préférence sur toute personne intéressée par l'acquisition du local commercial correspondant au lot n° 1 d'un immeuble sis 8, rue Simon Lefranc à Paris 4° arrondissement, ont violé cette obligation en vendant ce même bien à M. D... sans purger le droit de préférence du bénéficiaire ; qu'ainsi, ils ont engagés leur responsabilité contractuelle et doivent réparer le préjudice subi par le bénéficiaire par suite de la violation de son droit ; que le préjudice de la SCIFIM consiste dans la perte de chance d'acquérir le local commercial ; que cette acquisition était soumise aux mêmes conditions suspensives, notamment celle relative au financement, que celles du compromis consenti à M. D... ; qu'eu égard à cet aléa, le préjudice de la SCIFIM est évalué à la somme de 40 000 € ;

Alors qu'en raison de l'opposabilité aux tiers des actes publiés à la conservation des hypothèques, le pacte de préférence publié est tenu pour être connu de tous ;

Que, pour dire parfaite la vente conclue au profit de M. D... et condamner les exposants à verser à l'acquéreur le montant de la clause pénale et à la SCIFIM 40. 000 euros de dommages-intérêts, la cour d'appel a retenu au contraire que la publication du pacte de préférence du 30 juin 2005 conclu entre la SCIFIM et les exposants n'aurait pas créé de présomption de connaissance de l'acte par les tiers et qu'il ne serait donc pas établi que M. D... avait connaissance le 5 septembre 2006 de l'existence du pacte dont bénéficiait la SCIFIM, violant ainsi les articles 28, 30 et 37 du décret du 4 janvier 1955.

Second moyen de cassation

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande des consorts C... tendant à voir condamner in solidum Mme F...et la SCP G...-F...à les garantir des condamnations tirées de la clause pénale prononcées à leur encontre au profit de M. D... et à leur verser des dommages et intérêts d'un montant de 50. 000 euros, en réparation de leur préjudice financier résultant du blocage de la vente de leur bien tant en terme d'indisponibilité du prix de vente que de charges et de taxes payées en pure perte et évalué forfaitairement à la somme de 50. 000 euros ;

Aux motifs que si le contrat prévoyait que la réitération par acte authentique aurait lieu au plus tard le 30 novembre 2006, délai prorogé jusqu'à réception des pièces administratives nécessaires à la perfection de l'acte, sans que cette prorogation puisse excéder le 15 décembre 2006, cependant, il était précisé que la date d'expiration de ce délai n'était extinctive mais constitutive du point de départ de la période à partir de laquelle l'une des parties pouvait obliger l'autre à s'exécuter ; qu'il résulte des pièces produites que le 29 décembre 2006, Mme F...expédiait encore à son confrère M. E... les documents nécessaires à la perfection de l'acte, lui indiquant qu'elle était en attente de la renonciation au pacte de préférence qu'elle n'avait songé à purger que le 16 décembre 2005 (en réalité 2006) (…) ; que le pacte de préférence du 30 juin 2005 ayant été conclu avec la participation de Mme F..., celle-ci en avait nécessairement connaissance lorsqu'elle a rédigé le compromis du 5 septembre 2006 ; que, tenue du devoir de conseil et d'assurer l'efficacité de l'acte qu'elle rédigeait, elle devait soit, préalablement, purger le droit de préférence, soit porter à la connaissance de l'acquéreur l'existence du pacte de préférence, soit inclure une condition suspensive dans le compromis et en tout état de cause, aviser ses clients des risques qu'ils prenaient ; que, ne l'ayant pas fait, elle a engagé sa responsabilité à leur égard ; que les vendeurs n'établissent pas que le notaire soit à l'origine du défaut de réitération de la vente au profit de M. D... ; que, par suite, ils ne peuvent imputer à Mme F...le préjudice financier qu'ils prétendent avoir subi en raison du retard de réalisation de la vente ; qu'ils ne peuvent davantage demander que le notaire les garantisse de la condamnation au titre de la clause pénale prononcée au profit de M. D... ; qu'en revanche, la violation du droit de préférence est directement imputable à la faute du notaire qui doit garantir les promettants du montant de la condamnation prononcée au profit de la SCIFIM ;

Alors, d'une part, que tenu de conseiller les parties et d'assurer l'efficacité des actes qu'il dresse, le notaire ayant connaissance d'un pacte de préférence engage sa responsabilité si, préalablement à la rédaction d'un acte de vente, il ne veille pas au respect des droits du bénéficiaire du pacte et ne refuse pas, le cas échéant, de rédiger l'acte portant sur la vente conclue en violation de ce pacte ;

Qu'en décidant qu'il n'était pas établi que Mme F...serait responsable du retard pris par la régularisation de la vente pour exclure tout lien de causalité avec le préjudice financier des vendeurs issu de ce retard, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations par lesquelles elle relevait, d'une part, que Mme F...avait commis une faute en rédigeant à la fois le pacte de préférence avec la SCIFIM et le compromis de vente avec M. D... et, d'autre part, qu'elle n'avait songé à interroger le bénéficiaire du pacte de préférence sur ses intentions que le 16 décembre 2006, soit après la date butoir stipulée dans le compromis de vente pour la réitération par acte authentique, violant ainsi l'article 1382 du code civil ;

Alors, d'autre part, que tenu de conseiller les parties et d'assurer l'efficacité des actes qu'il dresse, le notaire ayant connaissance d'un pacte de préférence engage sa responsabilité si, préalablement à la rédaction d'un acte de vente, il ne veille pas au respect des droits du bénéficiaire du pacte et ne refuse pas, le cas échéant, de rédiger l'acte portant sur la vente conclue en violation de ce pacte ;

Qu'en décidant qu'il n'était pas établi que Mme F...serait responsable du retard pris par la régularisation de la vente pour exclure qu'elle garantisse la condamnation des vendeurs à régler à M. D... le montant de la clause pénale, due à cause de ce retard, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations par lesquelles elle relevait, d'une part, que Mme F...avait commis une faute en rédigeant à la fois le pacte de préférence avec la SCIFIM et le compromis de vente avec M. D... et, d'autre part, qu'elle n'avait songé à interroger le bénéficiaire du pacte de préférence sur ses renonciations que le 16 décembre 2006, soit après la date butoir stipulée dans le compromis de vente pour la réitération par acte authentique, violant ainsi l'article 1382 du code civil."