Un mauvais usage du permis de construire modificatif (vendredi, 02 septembre 2011)

Condamné par cet arrêt :

 

"Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires enregistrés les 14 août 1995 , 14 décembre 1995 et 9 février 1996 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE LA CLUSAZ, représentée par son maire en exercice ; la COMMUNE DE LA CLUSAZ demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 13 juin 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a, sur la requête de M. et Mme du X..., annulé le jugement du 12 mai 1993 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du maire de La Clusaz des 8 mars et 5 juin 1989 portant délivrance d'un permis de construire et d'un permis de construire modificatif à la SCI Chrimipadi pour la construction de quinze chalets d'habitation ;

2°) statuant au fond, de rejeter la requête de M. et Mme du X... ;

3°) de condamner M. et Mme du X... à lui payer la somme de 10 000 F au titre des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Delion, Maître des Requêtes,

- les observations de Me Guinard, avocat de la COMMUNE DE LA CLUSAZ, de Me Vuitton, avocat de M. et Mme du X... et de la SCP Gatineau, avocat de la SCI Chrimipadi,

- les conclusions de M. Touvet, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par des arrêtés des 8 mars et 5 juin 1989, le maire de La Clusaz a délivré successivement un permis de construire et un permis de construire modifiant le précédent à la SCI Chrimipadi pour la construction d'un ensemble comprenant notamment 15 chalets d'habitation au lieudit "Le Gotty" ; que, par son arrêt du 13 juin 1995, la cour administrative d'appel de Lyon a, d'une part, annulé le jugement du 12 mai 1993 du tribunal administratif de Grenoble rejetant la requête de M. et Mme du X... tendant à l'annulation des arrêtés du maire de La Clusaz, d'autre part, annulé lesdits arrêtés ; que la COMMUNE DE LA CLUSAZ conteste l'arrêt susanalysé de la cour administrative d'appel de Lyon et que la SCI Chrimipadi entend intervenir à ses côtés en demande ;

Sur l'intervention de la SCI Chrimipadi :

Considérant que la communication à la SCI Chrimipadi du mémoire en défense présenté par M. et Mme du X... ayant été ordonnée par le Conseil d'Etat, la production faite par cette société, sous la dénomination d'intervention en demande, doit être regardée comme contenant de simples observations tendant au rejet desdites conclusions ;

Sur la requête de la COMMUNE DE LA CLUSAZ :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 490-7 du code de l'urbanisme : "Le délai de recours contentieux à l'encontre d'un permis de construire court à l'égard des tiers à compter de la plus tardive des deux dates suivantes : a) Le premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées, selon le cas, au premier ou au deuxième alinéa de l'article R. 421-39 ; b) Le premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage en mairie des pièces mentionnées au troisième alinéa de l'article R. 421-39" ;

Considérant que le dossier soumis au juge du fond comporte un exemplaire de chacun des arrêtés délivrés par le maire mentionnant que l'affichage en a été effectué ; que, dès lors, la cour administrative d'appel de Lyon a entaché son arrêt d'une inexactitude matérielle en relevant, pour écarter la fin de non recevoir opposée par la commune à la demande de première instance des époux du X..., l'absence au dossier de tout élément de nature à étayer l'irrecevabilité ainsi invoquée ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, l'arrêt attaqué doit être annulé ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; qu'en l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Sur la recevabilité des demandes présentées par M. et Mme du X... devant le tribunal administratif de Grenoble :

En ce qui concerne l'arrêté du 8 mars 1989 :

Considérant, d'une part, que l'exemplaire de l'arrêté produit devant le tribunal administratif de Grenoble comporte la mention d'un affichage en mairie du 10 mars au 10 mai 1989 ; que, malgré l'absence au dossier d'élément établissant qu'il a été procédé à l'inscription de cet arrêté dans le registre chronologique des arrêtés, actes de publication et de notification prévu à l'article R. 122-11 du code des communes, ce document qui émane d'une autorité publique et dont les requérants se contentent d'alléguer que la mention qui y est portée ne serait pas celle de la date exacte de l'affichage, suffit à établir la réalité de l'affichage en mairie conformément aux dispositions du b) de l'article R. 421-39 précité ;

Considérant, d'autre part, que la société bénéficiaire du permis de construire a produit plusieurs attestations relatives à la présence sur le terrain d'un panneau d'affichage du permis de construire ; que si la plupart de ces attestations émanent de personnes qui sont intervenues dans les opérations de construction menées par cette société, l'une d'entre elles est établie par un voisin dont il n'est pas allégué qu'il ait un lien avec la société bénéficiaire du permis de construire ; que, par ailleurs, les attestations dont il s'agit établissent que l'affichage du permis de construire sur le terrain était effectif au plus tard à la fin du mois d'avril 1999 ; qu'il n'est pas allégué que cet affichage n'aurait pas été continu pendant deux mois au moins ;

Considérant que, dans ces conditions, la demande formée le 6 septembre 1989 devant le tribunal administratif de Grenoble par M. et Mme du X... contre l'arrêté du maire de La Clusaz du 8 mars 1989 est tardive et, par suite, irrecevable ;

En ce qui concerne l'arrêté du 5 juin 1989 :

Considérant que si l'arrêté du maire de La Clusaz du 5 juin 1989 accordant à la SCI Chrimipadi un permis de construire modifiant le permis précédemment délivré doit être regardé comme ayant été régulièrement affiché en mairie du 6 juin au 6 août 1989, aucune pièce du dossier n'établit à quelle date et pendant quelle durée cet arrêté a été affiché sur le terrain ; qu'ainsi, le délai du recours contentieux n'ayant pas couru, la demande formée devant le tribunal administratif par M. et Mme du X... le 6 septembre 1989 n'est pas tardive ;

Sur la légalité de l'arrêté du 5 juin 1989 :

Considérant que la demande de permis de construire "modificatif" présentée par la SCI Chrimipadi tendait à la suppression du bâtiment collectif prévu initialement ainsi qu'à la modification de six chalets et à la création de deux chalets supplémentaires ; qu'eu égard à la nature et à l'importance de ces changements, cette demande devait être regardée comme tendant en réalité à la délivrance d'un nouveau permis de construire ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-7-1 du code de l'urbanisme : "Lorsque la demande de permis de construire porte sur la construction, sur un même terrain, par une seule personne physique ou morale, de plusieurs bâtiments dont le terrain d'assiette fait l'objet d'une division en propriété ou en jouissance, le dossier est complété par les documents énumérés à l'article R. 315-5 a) et, le cas échéant, à l'article R. 315-6./ Dans le cas mentionné au premier alinéa, et lorsqu'un coefficient d'occupation des sols est applicable au terrain, la demande peut être accompagnée d'un plan de division du terrain précisant, le cas échéant, le terrain d'assiette de la demande d'autorisation et répartissant entre chacun des terrains issus de la division la surface hors oeuvre nette" ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contesté qu'à la date à laquelle le permis de construire a été délivré, l'ensemble immobilier projeté devait être ultérieurement régi par les dispositions de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ; qu'un tel régime comporte une division en parties affectées à l'usage de tous et en parties affectées à l'usage exclusif des copropriétaires, chacun d'eux disposant d'un droit de jouissance privative exclusif sur sa maison individuelle et le terrain attenant ; qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du plan topographique, que les chalets devaient être implantés sur des parcelles de terrains qui devaient faire l'objet d'une attribution privative ; qu'ainsi, la construction par la SCI Chrimipadi de quinze chalets pour un seul propriétaire et destinés seulement dans l'avenir à être vendus à des propriétaires différents dans le cadre du régime de la loi du 10 juillet 1965, entre dans le champ d'application de l'article R. 421-7-1 précité ;

Considérant qu'il est constant que le dossier de permis de construire déposé par le promoteur ne comporte pas la note de présentation prévue à l'article R. 315-5 a) du code de l'urbanisme auquel renvoie l'article R. 421-7-1 du même code, et que les informations contenues dans les plans et documents annexés audit dossier ne se substituent pas à une telle note ; que, dès lors, M. et Mme du X... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de La Clusaz du 5 juin 1989 accordant à la SCI Chrimipadi un permis de construire modifiant le précédent permis qui lui avait été délivré ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner solidairement la COMMUNE DE LA CLUSAZ et la SCI Chrimipadi à payer à M. et Mme du X... la somme de 10 000 F qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que M. et Mme du X..., qui ne sont pas dans la présente instance la partie perdante, soient condamnés à payer à la COMMUNE DE LA CLUSAZ et à la SCI Chrimipadi les sommes qu'elles demandent au même titre ;
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 13 juin 1995 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 mai 1993 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. et Mme du X... tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de La Clusaz du 5 juin 1989 portant délivrance d'un permis de construire modificatif à la SCI Chrimipadi.
Article 3 : L'arrêté du maire de La Clusaz du 5 juin 1989 est annulé.
Article 4 : La COMMUNE DE LA CLUSAZ et la SCI Chrimipadi verseront solidairement à M. et Mme du X... une somme de 10 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la COMMUNE DE LA CLUSAZ, les conclusions de la SCI Chrimipadi et le surplus des conclusions de la requête d'appel et de la demande de première instance de M. et Mme du X... sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE LA CLUSAZ, à M. et Mme Y... du X..., à la SCI Chrimipadi et au ministre de l'intérieur."