Notion de décision de préemption entièrement exécutée faisant obstacle à sa suspension (dimanche, 31 juillet 2011)

A travers cet arrêt :


“Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mars et 5 avril 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Z... , demeurant ..., M. Y... , demeurant ..., et M. et Mme X... B, demeurant ... ; Mme et autres demandent au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler l'ordonnance du 7 mars 2006 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 30 novembre 2005 du conseil municipal d'Aubignan décidant d'exercer le droit de préemption de la commune ;


2°) statuant en référé, de suspendre l'exécution de la décision de préemption litigieuse ;


3°) de mettre à la charge de la commune d'Aubignan le versement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine de Salins, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Choucroy, Gadiou, Chevallier, avocat de Mme et autres et de la SCP Gatineau, avocat de la commune d'Aubignan,

- les conclusions de M. Jacques-Henri Stahl, Commissaire du gouvernement ;


Considérant qu'aux termes de l'article L. 5211 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) » ;


Sur les conclusions à fin de nonlieu :


Considérant que la mesure de suspension que le juge des référés peut prononcer sur le fondement des dispositions de l'article L. 5211 du code de justice administrative à l'égard d'une décision de préemption peut consister, selon les cas, non seulement à faire obstacle à la prise de possession du bien par la collectivité publique titulaire du droit de préemption mais également, si le transfert de propriété a été opéré à la date à laquelle il statue, à empêcher cette collectivité de faire usage de certaines des prérogatives qui s'attachent au droit de propriété de nature à éviter que l'usage ou la disposition qu'elle fera de ce bien jusqu'à ce qu'il soit statué sur le litige au fond rendent irréversible la décision de préemption, sous réserve cependant qu'à cette date la collectivité n'en ait pas déjà disposé - par exemple par la revente du bien à un tiers - de telle sorte que ces mesures seraient également devenues sans objet ; que, par suite, si le transfert à la commune d'Aubignan de l'ensemble des biens qu'elle avait préempté par une délibération en date du 30 novembre 2005 doit, comme elle le soutient, être regardé comme étant intervenu à la suite de la conclusion d'un acte authentique de vente le 23 mars 2006 et du paiement, le 4 mai suivant, de la somme due, cette circonstance n'a pas pour effet de priver d'objet les conclusions des consorts tendant à la suspension de l'exécution de cette délibération dès lors qu'il n'est pas établi ni d'ailleurs allégué que la commune d'Aubignan ne serait plus propriétaire de l'ensemble immobilier litigieux ;


Sur le pourvoi :


Considérant qu'aux termes de l'article L. 2132 du code de l'urbanisme : « Toute aliénation (…) est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. /(...) Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration (…) vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption (...) » ; qu'aux termes de l'article R. 213-6 du même code : « Dès réception de la déclaration, le maire en transmet copie au directeur des services fiscaux en lui précisant si cette transmission vaut demande d'avis (...) » ; que l'article R. 213-21 de ce code ajoute que « Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre des finances prévu à l'article 3 du décret du 5 juin 1940 modifié » et que « L'avis du service des domaines doit être formulé dans un délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l'acquisition » ; qu'il ressort de ces dispositions que la consultation dans les conditions prévues par les dispositions précitées du service des domaines constitue, lorsqu'elle est requise, une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d'illégalité la décision de préemption ;


Considérant qu'il ressort des pièces soumises au juge des référés du tribunal administratif de Marseille que l'avis du service des domaines, demandé le 21 novembre 2005, n'a été reçu par la commune d'Aubignan que le 6 décembre 2005, soit postérieurement à la date du 30 novembre 2005 à laquelle a été prise la délibération attaquée du conseil municipal de la commune d'Aubignan, décidant d'exercer pour un prix supérieur au seuil mentionné à l'article R. 21321 précité du code de l'urbanisme le droit de préemption communal ; que la circonstance invoquée par la commune, selon laquelle le service des domaines lui aurait fait savoir oralement que son avis était favorable, ne saurait être regardée comme valant émission d'un avis régulier au sens des dispositions précitées de l'article R. 21321 ; que, dès lors, le juge des référés a commis une erreur de droit en estimant que le moyen tiré de l'absence d'avis régulier du service des domaines, préalable à l'exercice du droit de préemption, n'était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération litigieuse ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, les consorts sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;


Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 8212 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par les consorts ;


Considérant, d'une part, que, pour les raisons précédemment indiquées, les conclusions aux fins de non-lieu présentées par la commune d'Aubignan doivent être rejetées ;


Considérant, d'autre part, que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celuici porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets visàvis de l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci demande la suspension d'une telle décision ; qu'il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption ; qu'il appartient au juge de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'affaire qui lui est soumise ;

Considérant qu'en l'espèce, si la commune d'Aubignan fait état du besoin de réaliser des travaux de consolidation et d'aménagement des berges de la rivière voisine des terrains préemptés et de son intention d'y accueillir une manifestation sportive annuelle et de construire des logements sociaux pour se conformer aux obligations légales pesant sur elle en la matière, elle n'établit pas la nécessité dans laquelle elle se trouve de réaliser immédiatement les projets qui ont motivé l'exercice du droit de préemption ; que, dès lors, la condition d'urgence énoncée à l'article L. 5211 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie à l'égard des consorts , acquéreurs évincés ;

Considérant, enfin, que les moyens tirés de l'absence de l'avis préalable du service des domaines prévu à l'article R. 21321 du code de l'urbanisme et, pour l'application de l'article L. 60041 du code de l'urbanisme, de l'irrégularité entachant la convocation des conseillers municipaux, faute de l'envoi de la notice explicative exigée par les dispositions de l'article L. 212112 du code général des collectivités territoriales, paraissent, en l'état de l'instruction, propres à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la délibération attaquée ; qu'en revanche, les autres moyens développés par les consorts et tirés de l'absence de convocation dans les délais, accompagnée de l'ordre du jour, des conseillers municipaux à la séance du 30 novembre 2005, conformément aux dispositions des articles L. 212110 et L. 212112 du code général des collectivités territoriales, du défaut de caractère exécutoire de la délibération attaquée dans le délai de deux mois imparti du fait d'une nontransmission aux services de la souspréfecture de Carpentras, de l'insuffisante motivation de cette délibération au regard des exigences de l'article L. 2101 du code de l'urbanisme et de l'absence de projets communaux précis, ainsi que des erreurs de fait et de l'erreur manifeste d'appréciation entachant la décision de préemption, ne paraissent pas de nature à faire naître un tel doute ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède et compte tenu de la signature de l'acte de vente déjà intervenue et de l'engagement de travaux de consolidation des berges de la rivière voisine des parcelles, qu'il y a lieu de suspendre l'exécution de la décision de préemption du 30 novembre 2005 en tant qu'elle permet à la commune d'Aubignan de disposer de l'ensemble ainsi acquis et peut la conduire à user de ce bien dans des conditions qui rendraient irréversible cette décision de préemption ; que, toutefois, cette décision de suspension ne fait pas obstacle à ce que la commune prenne les mesures conservatoires qui s'avéreraient nécessaires, notamment en poursuivant les travaux de consolidation des berges qu'elle a entrepris ;


Considérant, enfin, que les dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des consorts le versement de la somme demandée par la commune d'Aubignan au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de cette commune le versement aux requérants d'une somme de 2 000 euros à ce titre ;


D E C I D E :


Article 1er : L'ordonnance du 7 mars 2006 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : L'exécution de la délibération du 30 novembre 2005 du conseil municipal d'Aubignan exerçant le droit de préemption communal est suspendue en tant que cette délibération permet à la commune de disposer de l'ensemble ainsi acquis et peut la conduire à en user dans des conditions qui rendraient irréversible cette délibération.

Article 3 : La commune d'Aubignan versera aux consorts une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune d'Aubignan au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Z... , à M. JeanNoël , à M. et Mme X... B, à la commune d'Aubignan et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.”