Servitude piétonnière et usage d'un véhicule (samedi, 23 avril 2011)

Les juges doivent tenir compte de l' évolution des modes de locomotion :

 

"Vu l'article 702 du code civil

Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Basse-Terre, 15 juin 2009), que M. Y... a assigné M. Z... en rétablissement de la servitude conventionnelle de passage qu'il avait obstrué et en élargissement de l'assiette de celle-ci de manière à permettre un passage carrossable pour la desserte de son fonds ; 

Attendu que pour rejeter cette demande d'élargissement, l'arrêt retient qu'il entraînerait nécessairement une aggravation de la servitude au préjudice du fonds servant, en méconnaissance du principe de fixité des servitudes conventionnelles ; 

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'élargissement de la servitude piétonnière de M. Y..., destiné à lui permettre d'accéder à son fonds, était compatible avec l'usage pour lequel la servitude lui avait été consentie, à une époque où l'utilisation d'un véhicule automobile était peu répandue à Basse-Terre, et si, compte tenu des nécessités de la vie moderne, le passage était suffisant pour un accès normal de M. Y... à son fonds, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autre moyens : 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de M. Y..., l'arrêt rendu le 15 juin 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre, autrement composée ; 

Condamne M. Z... aux dépens ; 

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. Z... à payer à M. Y... la somme de 2 500 euros ; 

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt 

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils pour M. Y... 

PREMIER MOYEN DE CASSATION 

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de Monsieur Y..., propriétaire d'un fonds destiné à son habitation principale, en élargissement du chemin de servitude consenti en 1956 par les auteurs de Monsieur Z..., propriétaire du fonds servant ; 

AUX MOTIFS PROPRES QUE la demande de Monsieur Y... tend à obtenir, non pas l'instauration d'une servitude de passage, mais l'élargissement de l'assiette de celle dont bénéficie sa parcelle ; que, dès lors que l'élargissement de l'assiette de la servitude sur le fonds de Monsieur Z..., précisément fixée à un mètre de large par le titre constitutif de cette servitude de passage (acte de vente du 3 avril 1956) entraînerait nécessairement une aggravation de celle-ci au préjudice du fonds servant, en méconnaissance du principe de fixité des servitudes conventionnelles résultant des dispositions de l'article 702 du Code civil, c'est à bon droit que le tribunal de grande instance a débouté Monsieur Y... de sa demande ; que Monsieur Y... devra en conséquence continuer à user de la servitude conformément à l'usage piétonnier que lui impose son titre ; (...) que même si les assiettes des servitudes dont bénéficient les fonds respectifs de Monsieur X... et de Monsieur Y... se superposent partiellement, ce dernier ne saurait toutefois profiter des modalités de passage aménagées au profit de la parcelle voisine sans qu'il en résulte une aggravation de sa servitude au préjudice du fonds servant, contraire aux dispositions de l'article 702 du Code civil ; 

ET AUX MOTIFS ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE le titre de propriété de Monsieur Y... indique que le terrain en cause bénéficie d'un droit de passage par un chemin de un mètre de largeur à travers la propriété de Monsieur et Madame Z..., permettant d'accéder au chemin ... ; que Monsieur Y... demande une aggravation de la servitude grevant la propriété de Monsieur Camille Z..., puisqu'il souhaite que la largeur du chemin de servitude soit portée à trois mètres, afin de permettre à un véhicule automobile de circuler (tracé B proposé par l'expert) ; que l'article 702 du Code civil pose le principe de la fixité de la servitude conventionnelle, son titulaire ne pouvant y apporter aucun changement qui puisse aggraver la situation du fonds qui doit la servitude ; que cependant, l'aggravation d'une servitude conventionnelle peut être admise en justice, dès lors qu'elle tend à une adaptation aux conditions actuelles de la vie, et à condition que la balance faite entre les avantages conférés au fonds dominant et les inconvénients qui en résultent pour le fonds servant, soit équilibrée ; qu'il ne saurait être contesté qu'en 1956, date de l'acte d'acquisition par Monsieur Y... de sa parcelle, l'automobile existait déjà, même si son usage étant moins répandu qu'aujourd'hui ; que la demande d'aggravation ne peut se justifier (que) par une avancée technique, inconnue à l'époque à laquelle l'acte a été conclu et qui constituerait ainsi, une condition actuelle de vie nouvelle à laquelle il serait impératif de s'adapter ; que Monsieur Yvan Y... ne justifie, ni n'allègue du reste aucune raison à caractère subjectif qui commanderait qu'il doive impérativement effectuer le trajet d'une longueur de 85 mètres qui sépare son héritage de la voie publique en voiture ; que de plus, et le plan dressé par l'expert est très explicite sur ce point, l'élargissement du chemin de servitude tel que souhaité par Monsieur Y..., permettrait le passage de véhicules immédiatement à côté du mur sud d'un des immeubles bâtis de Monsieur Camille Z..., ce qui provoquerait un déséquilibre entre les avantages conférés au fonds de Monsieur Yvan Y... et les inconvénients qui en résulteraient pour le fonds de Monsieur Camille Z... ; 

ALORS D'UNE PART QUE l'article 702 du Code civil impose aux juges du fond, saisis d'une demande de modification d'une servitude conventionnelle, de rechercher si cette modification permet un usage compatible avec celui pour lequel la servitude avait été accordée initialement par titre, au regard de la commune volonté des parties à cet acte ; que faute d'avoir recherché si l'élargissement de la servitude piétonnière de Monsieur Y..., destiné à lui permettre d'accéder à son domicile en voiture, était compatible avec l'usage pour lequel cette servitude avait été créée en 1956, époque où les voitures étaient rarement utilisées dans la région de Basse-Terre, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article susvisé ; 

ALORS D'AUTRE PART QUE l'assiette et le mode d'utilisation d'une servitude peuvent être modifiés à la demande du propriétaire du fonds enclavé lorsque la largeur de la servitude de passage est devenue insuffisante pour un accès normal compte tenu des progrès techniques et sociaux réalisés dans les modes de transport ; qu'en rejetant la demande d'élargissement de la servitude de passage accordée à Monsieur Y... en 1956, époque où la voiture était un moyen de transport peu utilisé dans la région de Basse-Terre, au seul constat que cette avancée technique était connue à la date de création de la servitude, sans rechercher si l'utilisation devenue aujourd'hui courante de ce mode de transport ne constituait pas en elle-même un progrès technique, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 702 du Code civil ; 

ALORS ENFIN QUE Monsieur Y... soutenait dans ses conclusions d'appel qu'en 1956, les propriétaires de voitures étaient peu nombreux dans la région de Basse-Terre et que l'utilisation devenue fréquente de ce mode de transport constituait une avancée technique justifiant qu'il soit fait droit à sa demande d'élargissement de la servitude piétonnière ; que la Cour d'appel, qui n'a pas répondu à ce moyen de nature à établir le caractère insuffisant de la servitude existante pour permettre à Monsieur Y... d'accéder normalement à son domicile, a violé l'article 455 du Code de procédure civile. 

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION 

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de Monsieur Y..., propriétaire d'un fonds destiné à son habitation principale, en élargissement du chemin de servitude consenti en 1956 par les auteurs de Monsieur Z..., propriétaire du fonds servant ; 

AUX MOTIFS PROPRES QUE la demande de Monsieur Y... tend à obtenir, non pas l'instauration d'une servitude de passage, mais l'élargissement de l'assiette de celle dont bénéficie sa parcelle ; que, dès lors que l'élargissement de l'assiette de la servitude sur le fonds de Monsieur Z..., précisément fixée à un mètre de large par le titre constitutif de cette servitude de passage (acte de vente du 3 avril 1956) entraînerait nécessairement une aggravation de celle-ci au préjudice du fonds servant, en méconnaissance du principe de fixité des servitudes conventionnelles résultant des dispositions de l'article 702 du Code civil, c'est à bon droit que le tribunal de grande instance a débouté Monsieur Y... de sa demande ; que Monsieur Y... devra en conséquence continuer à user de la servitude conformément à l'usage piétonnier que lui impose son titre ; (...) que même si les assiettes des servitudes dont bénéficient les fonds respectifs de Monsieur X... et de Monsieur Y... se superposent partiellement, ce dernier ne saurait toutefois profiter des modalités de passage aménagées au profit de la parcelle voisine sans qu'il en résulte une aggravation de sa servitude au préjudice du fonds servant, contraire aux dispositions de l'article 702 du Code civil ; 

ET AUX MOTIFS ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE le titre de propriété de Monsieur Y... indique que le terrain en cause bénéficie d'un droit de passage par un chemin de un mètre de largeur à travers la propriété de Monsieur et Madame Z..., permettant d'accéder au chemin ... ; que Monsieur Y... demande une aggravation de la servitude grevant la propriété de Monsieur Camille Z..., puisqu'il souhaite que la largeur du chemin de servitude soit portée à trois mètres, afin de permettre à un véhicule automobile de circuler (tracé B proposé par l'expert) ; que l'article 702 du Code civil pose le principe de la fixité de la servitude conventionnelle, son titulaire ne pouvant y apporter aucun changement qui puisse aggraver la situation du fonds qui doit la servitude ; que cependant, l'aggravation d'une servitude conventionnelle peut être admise en justice, dès lors qu'elle tend à une adaptation aux conditions actuelles de la vie, et à condition que la balance faite entre les avantages conférés au fonds dominant et les inconvénients qui en résultent pour le fonds servant, soit équilibrée ; qu'il ne saurait être contesté qu'en 1956, date de l'acte d'acquisition par Monsieur Y... de sa parcelle, l'automobile existait déjà, même si son usage était moins répandu qu'aujourd'hui ; que la demande d'aggravation ne peut se justifier (que) par une avancée technique, inconnue à l'époque à laquelle l'acte a été conclu et qui constituerait ainsi, une condition actuelle de vie nouvelle à laquelle il serait impératif de s'adapter ; que Monsieur Yvan Y... ne justifie, ni n'allègue du reste aucune raison à caractère subjectif qui commanderait qu'il doive impérativement effectuer le trajet d'une longueur de 85 mètres qui sépare son héritage de la voie publique en voiture ; que de plus, et le plan dressé par l'expert est très explicite sur ce point, l'élargissement du chemin de servitude tel que souhaité par Monsieur Y..., permettrait le passage de véhicules immédiatement à côté du mur sud d'un des immeubles bâtis de Monsieur Camille Z..., ce qui provoquerait un déséquilibre entre les avantages conférés au fonds de Monsieur Yvan Y... et les inconvénients qui en résulteraient pour le fonds de Monsieur Camille Z... ; 

ALORS D'UNE PART que le principe de fixité des servitudes énoncé par l'article 702 du Code civil n'interdit que les aggravations de charges qui seraient de nature porter préjudice au fonds servant ; qu'en jugeant que la demande d'élargissement de la servitude de Monsieur Y... était contraire à ce principe sans déterminer en quoi cet élargissement porterait préjudice au fonds servant, tout en autorisant par ailleurs la création d'une nouvelle servitude de passage au profit d'un autre fonds dominant (celui de Monsieur X...) se superposant à celle que Monsieur Y... aurait obtenu si sa demande d'élargissement avait été accordée, la Cour d'appel qui n'a caractérisé l'existence d'aucun préjudice, a violé l'article précité ; 

ALORS D'AUTRE PART qu'en accordant au bénéfice de Monsieur X... la création d'une servitude de passage d'une largeur de trois mètres permettant un accès en voiture à son domicile, et ayant la même assiette que le chemin de servitude sur lequel s'exerçait la servitude de Monsieur Y..., la Cour d'appel a constaté que l'élargissement de la servitude piétonnière de Monsieur Y... destinée à se superposer à cette nouvelle servitude ne porterait pas préjudice au fonds dominant de Monsieur Z... ; qu'en refusant néanmoins de faire droit à lae demande de l'exposant, la Cour a violé l'article 702 du Code civil ; 

ALORS ENFIN QUE le propriétaire d'un fonds grevé d'une servitude ne peut s'opposer à l'utilisation de cette servitude au profit d'un autre fonds que le fonds dominant au profit duquel elle a été consentie sans démontrer en quoi cette utilisation serait de nature à aggraver la situation de son fonds ; qu'en refusant l'élargissement de la servitude de un mètre de Monsieur Y... tout en acceptant de créer sur la même assiette mais au seul profit de Monsieur X... une servitude de trois mètres se superposant à celle de Monsieur Y..., la Cour, qui a interdit à ce dernier d'utiliser la servitude nouvellement créée sans établir en quoi cette utilisation pourrait aggraver la situation du fonds servant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 702 du Code civil. 

TROISIEME MOYEN DE CASSATION 

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la demande de Monsieur Y..., propriétaire d'un fonds destiné à son habitation principale, en élargissement du chemin de servitude consenti en 1956 par les auteurs de Monsieur Z..., propriétaire du fonds servant ; 

AUX MOTIFS PROPRES QUE la demande de Monsieur Y... tend à obtenir, non pas l'instauration d'une servitude de passage, mais l'élargissement de l'assiette de celle dont bénéficie sa parcelle ; que, dès lors que l'élargissement de l'assiette de la servitude sur le fonds de Monsieur Z..., précisément fixée à un mètre de large par le titre constitutif de cette servitude de passage (acte de vente du 3 avril 1956) entraînerait nécessairement une aggravation de celle-ci au préjudice du fonds servant, en méconnaissance du principe de fixité des servitudes conventionnelles résultant des dispositions de l'article 702 du Code civil, c'est à bon droit que le tribunal de grande instance a débouté Monsieur Y... de sa demande ; que Monsieur Y... devra en conséquence continuer à user de la servitude conformément à l'usage piétonnier que lui impose son titre ; (...) que même si les assiettes des servitudes dont bénéficient les fonds respectifs de Monsieur X... et de Monsieur Y... se superposent partiellement, ce dernier ne saurait toutefois profiter des modalités de passage aménagées au profit de la parcelle voisine sans qu'il en résulte une aggravation de sa servitude au préjudice du fonds servant, contraire aux dispositions de l'article 702 du Code civil ; 

ET AUX MOTIFS ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE le titre de propriété de Monsieur Y... indique que le terrain en cause bénéficie d'un droit de passage par un chemin de un mètre de largeur à travers la propriété de Monsieur et Madame Z..., permettant d'accéder au chemin ... ; que Monsieur Y... demande une aggravation de la servitude grevant la propriété de Monsieur Camille Z..., puisqu'il souhaite que la largeur du chemin de servitude soit portée à trois mètres, afin de permettre à un véhicule automobile de circuler (tracé B proposé par l'expert) ; que l'article 702 du Code civil pose le principe de la fixité de la servitude conventionnelle, son titulaire ne pouvant y apporter aucun changement qui puisse aggraver la situation du fonds qui doit la servitude ; que cependant, l'aggravation d'une servitude conventionnelle peut être admise en justice, dès lors qu'elle tend à une adaptation aux conditions actuelles de la vie, et à condition que la balance faite entre les avantages conférés au fonds dominant et les inconvénients qui en résultent pour le fonds servant, soit équilibrée ; qu'il ne saurait être contesté qu'en 1956, date de l'acte d'acquisition par Monsieur Y... de sa parcelle, l'automobile existait déjà, même si son usage était moins répandu qu'aujourd'hui ; que la demande d'aggravation ne peut se justifier (que) par une avancée technique, inconnue à l'époque à laquelle l'acte a été conclu et qui constituerait ainsi, une condition actuelle de vie nouvelle à laquelle il serait impératif de s'adapter ; que Monsieur Yvan Y... ne justifie, ni n'allègue du reste aucune raison à caractère subjectif qui commanderait qu'il doive impérativement effectuer le trajet d'une longueur de 85 mètres qui sépare son héritage de la voie publique en voiture ; que de plus, et le plan dressé par l'expert est très explicite sur ce point, l'élargissement du chemin de servitude tel que souhaité par Monsieur Y..., permettrait le passage de véhicules immédiatement à côté du mur sud d'un des immeubles bâtis de Monsieur Camille Z..., ce qui provoquerait un déséquilibre entre les avantages conférés au fonds de Monsieur Yvan Y... et les inconvénients qui en résulteraient pour le fonds de Monsieur Camille Z... ; 

ALORS QUE le propriétaire d'un fonds qui ne dispose pas, sur la voie publique, d'une issue suffisante pour l'exploitation normale de sa propriété est fondé à réclamer sur le fonds de ses voisins un passage pour assurer la desserte complète de son fonds ; que l'impossibilité d'accéder à son domicile en voiture révèle, compte tenu des usages actuels en matière de transport, la situation d'enclave d'un fonds ; qu'en refusant, comme il le leur était demandé, de créer une servitude carrossable au bénéfice du fonds de Monsieur Y... destinée à lui permettre d'accéder en voiture à son domicile, la Cour d'appel, qui a par ailleurs accepté de créer au seul bénéfice de son voisin une telle servitude en raison de l'impossibilité pour celui-ci d'accéder à son fonds en voiture, a maintenu le fonds de Monsieur Y... dans une situation d'enclave et violé de ce fait l'article 682 du Code civil."