Le devoir de conseil du notaire ne s'étend pas à l'opération que les parties ont exclu de réaliser à l'occasion de la vente qu'elles lui demandent d'authentifier (mardi, 07 septembre 2010)

Ainsi jugé par cet arrêt :

 

"Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 2 décembre 2008), que par acte du 5 août 1996, reçu par M. X..., notaire, avec la participation de M. Y..., son confrère, la société Vivarais automobile a cédé à la société Mirabel Chambaud un fonds de commerce de garage et de négoce d'automobiles ainsi que le droit au bail afférent ; qu'elle était également titulaire d'un autre bail commercial, portant sur un terrain situé dans la même commune destiné à l'entrepôt des véhicules d'occasion qui n'a pas été repris par la société cessionnaire, en dépit de pourparlers concomitants à la vente du 5 août 1996 ; qu'elle a été condamnée par un arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 21 octobre 2003 à en payer les loyers jusqu'au terme du bail en septembre 1999 ; qu'elle a assigné M. Y..., son notaire, en responsabilité, estimant qu'il ne l'avait pas mise en garde sur la difficulté liée à la conclusion de la vente du fonds de commerce avant l'issue des pourparlers concernant la cession du bail de l'entrepôt ;

Attendu que la société cédante fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande alors, selon le moyen :

1°/ que le notaire est tenu d'une obligation de conseil, laquelle est un devoir absolu ; que l'obligation qui pèse sur les notaires de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'ils dressent concerne tous les actes auxquels ils donnent la forme authentique ; que le notaire n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client ; que le notaire doit être tenu responsable de ne pas avoir averti les parties des risques que comportent les transactions auxquelles il prête le concours de son office ni de l'exacte portée de l'acte qu'elle signent ; qu'il a une obligation générale de mise en garde, laquelle lui impose de prévenir les clients et de les informer sur toutes les conséquences qui peuvent découler de l'opération projetée, ce dont il résulte que lorsqu'il est acquis aux débats que le notaire avait connaissance, lors de l'établissement de l'acte, de données de fait révélatrices d'une difficulté, les juges du fond doivent retenir la responsabilité du notaire qui n'a pas attiré l'attention de son client sur les dangers de la situation ; qu'en écartant en l'espèce la responsabilité de M. Y... au motif inopérant de la compétence de son client, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, de quelle manière M. Y..., dont il était acquis aux débats qu'il avait connaissance de la difficulté tenant à la négociation en cours relativement au second bail, avait satisfait à son obligation de conseil à cet égard, la cour d'appel a dispensé ainsi le notaire de son obligation d'information et de conseil et a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, ensemble l'article 1382 du même code ;

2°/ que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; que cette preuve peut résulter de toute circonstance ou document, y compris l'acte de vente, à la condition cependant que les documents en cause fassent apparaître clairement que le notaire a suffisamment attiré l'attention du client sur le conseil ou l'information qui lui a été donnée ; qu'en exigeant en l'espèce de la société Vivarais automobile qu'elle démontre l'existence d'une faute caractérisée imputable à M. Y..., la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;

3°/ que nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; qu'en fondant sa conviction sur le contenu de la lettre du notaire lui-même en date du 27 août 1998, la cour d'appel a violé de ce nouveau chef l'article 1315 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a relevé que les parties avaient décidé lors de la signature de l'acte du 5 août 1996 de dissocier la vente du fonds de commerce de la cession du bail de l'entrepôt, quoique les pourparlers relatifs à cette cession aient été toujours en cours à cette date, a exactement retenu que le devoir de conseil du notaire ne s'étendait pas à l'opération que les parties avaient exclu de réaliser à l'occasion de la vente qu'elles lui demandaient d'authentifier ; que le moyen, qui ne se serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi en ses deux dernières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Vivarais automobile aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Vivarais automobile à payer à M. Y... la somme de 2 000 euros ; rejette la demande de la société Vivarais automobile ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille dix.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Vier, Barthélemy et Matuchansky, avocat aux Conseils pour la société Vivarais automobile.

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté la Société VIVARAIS AUTOMOBILE de ses demandes tendant à voir reconnaître la responsabilité de Maître Y... pour manquement à son devoir de conseil et à le voir condamner à des dommages et intérêts ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE le grief articulé par la SA VIVARAIS AUTOMOBILE porte sur l'efficacité de l'acte, la demanderesse partant du postulat que l'accord des parties était arrêté sur la transmission du bail litigieux (celui passé entre M. Z... et la SA VIVARAIS) à la SARL MIRABEL CHAMBAUD ; qu'il ressort de la lettre du 27 août 1998 que les notaires rédacteurs, après avoir recherché l'intention des parties, ont relevé que celles-ci ont décidé de dissocier de la vente du 5 août 1996, la question relative à la reprise du bail du 14 mars 1991 ; qu'il résulte de l'arrêt définitif du 21 octobre 2003 intervenu entre VIVARAIS AUTOMOBILE, MIRABEL CHABAUD et Roger Z... que la négociation de cette reprise du bail litigieux était restée au stade des pourparlers et n'avait jamais été suivie d'un accord des parties ; qu'il s'ensuit que la SA VIVARAIS AUTOMOBILE ne saurait faire grief à son notaire d'avoir manqué à son obligation de conseil, après avoir décidé en accord avec la SARL MIRABEL CHABAUD de passer en connaissance de cause l'acte du 5 août 1996, malgré la poursuite de la négociation de la reprise du deuxième bail encore au stade de pourparlers, limitant ainsi l'objet exact de la vente dont les notaires étaient tenus d'assurer l'efficacité ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE rien ne permet de dire qu'avant le 5 août 1996, le notaire était lui-même parfaitement informé à ce sujet, ce qui l'aurait effectivement contraint, en exécution de son obligation de conseil, de procéder à toutes recherches utiles ; que de plus, ne sont en rien suffisamment contrariés les termes du 2ème paragraphe de la lettre du 27 août 1998 en ce qu'il y est précisé : « d'un commun accord, il avait été décidé de ne pas en parler dans l'acte de vente, mais que Madame A... reprendrait ce bail à son compte, ayant d'ailleurs besoin du terrain ainsi loué pour parquer ses véhicules. Et elle avait exigé que vous libériez immédiatement ce terrain, condition que vous aviez acceptée » ; que la société VIVARAIS, dont l'ignorance du monde des affaires n'est pas démontrée et qui, de ce fait, ne pouvait ignorer les risques inhérents au non aboutissement des pourparlers en cours, ne saurait sérieusement reprocher à Me Y... d'avoir agi comme elle le lui a demandé ;

ALORS QUE, D'UNE PART, le notaire est tenu d'une obligation de conseil, laquelle est un devoir absolu ; que l'obligation qui pèse sur les notaires de s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'ils dressent concerne tous les actes auxquels ils donnent la forme authentique ; que le notaire n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client ; que le notaire doit être tenu responsable de ne pas avoir averti les parties des risques que comportent les transactions auxquelles il prête le concours de son office ni de l'exacte portée de l'acte qu'elle signent ; qu'il a une obligation générale de mise en garde, laquelle lui impose de prévenir les clients et de les informer sur toutes les conséquences qui peuvent découler de l'opération projetée, ce dont il résulte que lorsqu'il est acquis aux débats que le notaire avait connaissance, lors de l'établissement de l'acte, de données de fait révélatrices d'une difficulté, les juges du fond doivent retenir la responsabilité du notaire qui n'a pas attiré l'attention de son client sur les dangers de la situation ; qu'en écartant en l'espèce la responsabilité de Maître Y... au motif inopérant de la compétence de son client, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, de quelle manière Maître Y..., dont il était acquis aux débats qu'il avait connaissance de la difficulté tenant à la négociation en cours relativement au second bail, avait satisfait à son obligation de conseil à cet égard, la Cour d'appel a dispensé ainsi le notaire de son obligation d'information et de conseil et a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, ensemble l'article 1382 du même code ;

ALORS QUE, D'AUTRE PART, celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation ; que cette preuve peut résulter de toute circonstance ou document, y compris l'acte de vente, à la condition cependant que les documents en cause fassent apparaître clairement que le notaire a suffisamment attiré l'attention du client sur le conseil ou l'information qui lui a été donnée ; qu'en exigeant en l'espèce de la Société VIVARAIS AUTOMOBILE qu'elle démontre l'existence d'une faute caractérisée imputable à Maître Y..., la Cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;

ALORS QU'ENFIN, nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; qu'en fondant sa conviction sur le contenu de la lettre du notaire lui-même en date du 27 août 1998, la Cour d'appel a violé de ce nouveau chef l'article 1315 du code civil."