L’apparence, la réalité et la protection de l’emprunteur immobilier (jeudi, 15 mai 2008)

Il suffit que l’acheteur se présente comme marchand de biens, même s’il ne l’est pas en réalité, à l’occasion d’un achat immobilier, pour que cette affirmation rende inapplicables les dispositions protectrices de la loi du 13 juillet 1979 désormais insérées au Code la Consommation :

« Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 1er avril 1992), que, suivant une promesse de vente en date du 19 décembre 1990, la société Transmodale a conféré à Mme Thanapoomikul la faculté d'acquérir un immeuble ; que l'acte stipulait qu'en cas de non-réalisation de la vente à une date fixée, la bénéficiaire s'obligeait à verser une somme de 3 millions de francs ; que la société Transmodale a assigné Mme Thanapoomikul devant la juridiction consulaire pour voir juger qu'elle devait cette indemnité d'immobilisation, la loi du 13 juillet 1979 n'étant pas applicable à cette promesse de vente, la bénéficiaire s'étant présentée comme marchande de biens ; que celle-ci a soulevé une exception d'incompétence au profit du tribunal de grande instance ;

Attendu que Mme Thanapoomikul fait grief à l'arrêt, d'avoir déclaré mal fondée cette exception, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les litiges concernant l'application des dispositions d'ordre public de la loi du 13 juillet 1979 relative à l'information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier ressortissent à la compétence du tribunal de grande instance dans certaines hypothèses ; qu'ainsi, en ne recherchant pas comme l'y invitaient les écritures de Mme Thanapoomikul, si la mention, suivant laquelle celle-ci achèterait en qualité de marchand de biens, n'avait pas été insérée par la société Transmodale pour tourner les dispositions particulières d'ordre public, et par voie de conséquence, les règles de compétence d'attribution, en donnant une apparence de régularité à l'absence de condition suspensive d'obtention d'un prêt dans la promesse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 16, 17, 18, 36 de la loi du 13 juillet 1979 et L. 311-2 du Code de l'organisation judiciaire ; alors, d'autre part, que le litige portant sur une promesse unilatérale de vente d'un immeuble, acte de nature civil, ne pouvait ressortir à la compétence du tribunal de commerce dès lors que Mme Thanapoomikul n'était pas une commerçante, n'était pas une professionnelle de l'immobilier, et n'exerçait pas la profession de marchand de biens, et n'avait jamais réalisé un achat de biens immeubles aux fins de les revendre ; qu'ainsi, en retenant la mention insérée dans la promesse de vente suivant laquelle Mme Thanapoomikul aurait fait cette acquisition dans le cadre de son activité de marchand de biens sans rechercher si les circonstances de l'espèce et la réalité des activités exercées par la bénéficiaire ne démontraient pas qu'en réalité, celle-ci avait souscrit la promesse à titre personnel et non professionnel, de sorte que le litige ressortait à la compétence du tribunal de grande instance, la cour d'appel a violé les articles 1, 631 et 632 du Code de commerce ; alors, en outre, que si la loi répute acte de commerce tout achat de biens immobiliers en vue de les revendre, la promesse unilatérale de vente d'un immeuble, qui n'emporte pas obligation d'achat pour le bénéficiaire, constitue une convention distincte de celle portant sur la vente d'immeuble ; que la mention suivant laquelle l'acheteur fera son acquisition dans le cadre d'une activité de marchand de biens ne peut valoir qu'en cas d'achat de bien et ne pouvait servir pour déterminer la juridiction compétente pour connaître du litige concernant la seule promesse, acte de nature civile ; qu'ainsi, en se fondant sur cette mention inapplicable au litige portant sur la promesse, la cour d'appel a violé les articles 1 et 632 du Code de commerce et l'article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, que la promesse unilatérale de vente signée par Mme Thanapoomikul ne pouvait recevoir la qualification d'acte de commerce dès lors que celle-ci n'avait jamais eu l'intention de faire un achat pour revendre et avait pour seul objectif de se constituer un patrimoine ; qu'en ne recherchant pas si cette intention, connue du promettant, ne donnait pas à l'acte un caractère civil et compétence au tribunal de grande instance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 631 et 632 du Code de commerce ;

Mais attendu que l'arrêt relève que Mme Thanapoomikul a déclaré dans la promesse qu'en cas de réalisation de celle-ci elle ferait " cette acquisition dans le cadre de son activité de marchand de biens ", et, qu'elle s'était adressée à des organismes prêteurs spécialisés dans les opérations de crédit aux professionnels de l'immobilier, ce dont il résultait qu'elle avait voulu prendre auprès de ses cocontractants l'apparence d'un marchand de biens ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

 

(Cour de Cassation 3 mai 1994)